Par Alain Lieury, professeur émérite de Psychologie cognitive et ancien directeur du laboratoire de psychologie expérimentale à l'Université Rennes 2. Spécialiste de la mémoire, il a écrit une vingtaine d'ouvrages, manuels ou livres grand public. Parmi ses derniers livres: Psychologie Cognitive (2008), Doper son cerveau : réalité ou intox (2009) et La Réussite scolaire expliquée aux parents (2010), chez Dunod.
A la suite de l’excellent livre du philosophe Michel Onfray, Le Crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne, j’ai été très étonné que la médiatisation se résume en substance à cette question : « On nous dit que Freud est complètement dépassé, voire un faussaire, que la psychanalyse est au mieux une pseudo-science…Mais alors pourquoi cette popularité ? » Par exemple : « Comment expliquer le succès de Freud, du freudisme et de la psychanalyse pendant un siècle ? » (L’Express, 22/08/2010) », ou « Certes l'affirmation que la science des rêves et de l'inconscient n'est en vérité qu'une pseudo-science ne manque pas de pertinence. (…) Plus que la scientificité de la psychanalyse, c'est sa popularité qui pose question… » Maxime Zjelinski, Le Plous du Midi (avril 2010).
Or, c’est une erreur bien française de penser que Freud et la psychanalyse sont encore très populaires, et contrairement au titre du Monde, Le Crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne fait « grincer des dents » (Le Monde, 21/04/10), le livre d’Onfray ravit plus, à mon avis, qu’il ne fait grincer les dents. En effet la psychologie scientifique contemporaine est d’une extrême diversité : dans le plus grand répertoire informatisé au niveau international, PsycInfo, le nombre d’articles et livres traitant de la psychologie était d’environ 100 000 en 2005 (1). Environ 150 catégories sont répertoriées. La psychologie est aussi diverse que les activités de l’homme.
Freud et la psychanalyse dans la psychologie au niveau international
Une analyse des principaux thèmes de publications pour l’année 2005 révèle que les grands secteurs concernent d’une part la psychopathologie, au sens large du terme, incluant les déficits physiques (aveugles, traumatismes crâniens), les troubles psychiatriques, et, d’autre part la psychologie de la santé et de la prévention (stress, alcoolisme, criminalité...). Les autres grands domaines sont la psychologie expérimentale/cognitive (perception, mémoire, intelligence, émotions, personnalité…), les neurosciences (incluant la psychopharmacologie), la psychologie sociale, la psychologie du développement, de l’éducation. On trouve également des secteurs variés en psychologie appliquée, incluant la psychologie de la consommation, la psychologie industrielle et des organisations (13 226 titres). Il existe enfin des thèmes divers comme la psychologie des arts et des humanités, la psychologie de la musique, la psychologie militaire, la psychologie juridique et de la police... La psychanalyse comme théorie ou comme thérapie, ne représente que 1 722 publications soit 1,7 % au niveau international.
Cette répartition se retrouve approximativement dans les manuels américains. Freud apparaît bien à la fois pour des théories intéressant la psychologie en général (motivation, personnalité) et comme théorie spécifique dans le cadre de la psychopathologie, c’est-à-dire la psychanalyse, mais son importance est très réduite (quelques pages). Ceci ne correspond évidemment pas à l’image d’Epinal du psychanalyste des films américains. La référence est toujours celle des films de Woody Allen si appréciés en France, mais on oublie facilement que le Psy des films est le plus souvent un psychiatre qui délivre également des pilules, ou le Psy (Shrink) qui est un thérapeute, parfois ésotérique (Alice) ; dans un film que j’ai revu récemment où la traduction française était évidemment « psychanalyste », le générique de fin indiquait psychiatrist. Mais dans les autres films ou séries, le psy est un psychiatre, dans une section comportementale (X-Files). Et quand Buffy (la série Buffy et les vampires) s’inscrit en psychologie à l’université de Sunnydale, elle semble plus intéressée par l’ésotérisme que par les pulsions freudiennes. En effet, les Etats-Unis ont été très marqués par le courant spiritiste, et les thèmes de médiums, de fantômes, sont omniprésents (cf. Stephen King, la série Medium).