Gilles Candar : « Se rassembler pour faire face au danger, c'est ce que la gauche française sait faire de mieux »

Les différentes composantes de la gauche ont réussi en un temps record à s’unir dans un « nouveau Front populaire » en vue des élections législatives anticipées. L’alliance parviendra-t-elle à perdurer en dépit des divergences importantes de ses membres ? Spécialiste des gauches françaises, l’historien Gilles Candar nous livre son expertise.

 

Olivier Faure (PS) prend la parole lors d'une conférence de presse du Nouveau Front populaire le 14 juin 2024 à Paris. © Julien Mattia/Le Pictorium/Alamy Live News

Olivier Faure (PS) prend la parole lors d'une conférence de presse du Nouveau Front populaire le 14 juin 2024 à Paris. © Julien Mattia/Le Pictorium/Alamy Live News

Que vous inspire l’alliance des différentes franges de la gauche dans un nouveau « Front populaire » allant de Philippe Poutou jusqu’à Aurélien Rousseau ?

Cette alliance très large est d’abord défensive, avec en ligne de mire le danger que représente l’extrême droite. C’est ce que la gauche française sait faire de mieux. La référence au Front populaire, dans un moment où l’extrême droite est très forte, rappelle bien sûr le contexte de 1934, la montée des dictatures en Europe, la crainte de la violence des ligues fascistes dans la rue et d’un raidissement réactionnaire des députés modérés.

Mais on peut remonter plus loin, jusqu’au souvenir de toutes les luttes du 19e siècle entre républicains, royalistes et bonapartistes. Sur le plan électoral, il y a l’invention, en 1885, de la « discipline républicaine » : après un premier tour marqué par de très bons résultats des monarchistes, on a une coalition impressionnante allant des anciens communards aux partisans de Jules Ferry, soit des gens qui se sont parfois fusillés les uns les autres une dizaine d’années auparavant !

Cela continue les années suivantes, avec la crainte réitérée d’une restauration de la monarchie ou de l’Empire, qui ressurgit notamment au moment du boulangisme ou de l’affaire Dreyfus. Si la République réussit à résoudre finalement l’« Affaire », c’est parce qu’elle prend conscience du risque que la République ne bascule dans un sens trop nationaliste, militariste et autoritaire.

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C’est là que s’invente la « défense républicaine », qui coalise à la fois des républicains modérés, des radicaux, des socialistes et même des anarchistes en soutien. Aujourd’hui, nous sommes une fois de plus dans la vieille scène que sait très bien jouer la gauche française dans toute sa diversité : opposer un front commun extrêmement large lorsque surgit un réel danger sur les libertés, sur la République, sur la démocratie. On fait momentanément taire les divergences, qui sont nombreuses et réelles, du fait d’un péril imminent.

Beaucoup d’observateurs pointent une alliance « contre-nature » en insistant sur le fait que ces forces ne sont « d’accord sur rien ». Hormis la lutte contre l’extrême droite, y a-t-il des éléments fondamentaux qui rassemblent aujourd’hui la gauche la plus modérée et l’extrême gauche ?

Cette convergence autour de la lutte contre l’extrême droite en présuppose de fait une autre : l’attachement au cadre républicain et démocratique hérité de la Révolution française. Comme le disait Léon Gambetta, « en France, la forme emporte le fond ».

La crainte que ce cadre soit remis en cause est très forte et largement partagée par l’ensemble de la gauche. La difficulté, maintenant, est peut-être dans la caractérisation du danger. Lionel Jospin a récemment fait une distinction intéressante entre l’extrême droite et la référence tenace au fascisme ou au nazisme, qui compliquait peut-être inutilement les choses.

En tant qu’historien, le Rassemblement national me rappelle plutôt en effet les nationalistes, antidreyfusards ou boulangistes de la fin du 19e siècle que les fascistes de l’entre-deux-guerres, même si les premiers se sont parfois associés aux seconds vingt ou trente ans plus tard et si de toute façon les parallèles historiques sont par définition toujours imprécis et insuffisants. Quoiqu’il en soit, la volonté de sauvegarde du cadre politique contre ceux qui la menacent est un important point de convergence.