Gilles Deleuze (1925-1995) Félix Guattari (1930-1992) Une philosophie rhizomatique

Créateur de concepts puisque philosophe, Gilles Deleuze fait partie de ces penseurs inclassables, dont l’œuvre originale subjugue. Mais cet assoiffé de liberté ne se révélera vraiment qu’une fois découverte la psychanalyse de son ami Félix Guattari.

Un vieil homme parle face à la caméra, la voix rauque, l’œil vif, pétillant, malgré, on le sent, une certaine fatigue. Ses propos sont toujours enthousiastes, souvent amusés. Il a l’air sympathique, ce philosophe qui accepte de réagir à ces mots lancés par une jeune femme, Claire Parnet. De toute façon, pour lui, tout vaut mieux que de répondre à des questions. Cela, il n’aime pas. Dans Dialogues (1977), il s’explique : « La plupart du temps, quand on me pose une question, même qui me touche, je m’aperçois que je n’ai strictement rien à dire. Les questions se fabriquent comme autre chose. Si on ne vous laisse pas fabriquer vos questions, avec des éléments venus de partout, de n’importe où, si on vous les pose, vous n’avez pas grand-chose à dire. » Alors Gilles Deleuze préfère parler à partir de mots lancés selon un ordre arbitraire – l’ordre alphabétique. Il parlera donc de désir, de tennis, de peinture, de politique… C’est le documentaire L’Abécédaire (1998).

Ce film est sans doute la manière la plus plaisante de découvrir Deleuze. Car, il faut bien l’avouer, il est plus facile de l’écouter que de le lire. À ses débuts, ses livres sont assez classiques. Tout comme son parcours au demeurant. Deleuze fait ses études secondaires au lycée Carnot à Paris, devient agrégé de philosophie, enseigne aux lycées d’Amiens, d’Orléans et Louis-le-Grand de 1948 à 1957. En 1953, il publie son premier livre, Empirisme et Subjectivité, une étude sur le philosophe écossais du 18e siècle David Hume. Suivront plusieurs études d’histoire de la philosophie.

Couleur et philosophie

Jusque-là, rien de très singulier. Et pourtant, déjà, quelque chose pointe. Les philosophes auxquels s’intéresse Deleuze ne sont pas les trois « H » qui dominent l’université française : Georg Hegel, Edmund Husserl et Martin Heidegger – « une scolastique pire qu’au Moyen Âge ». Deleuze, lui, s’intéresse à D. Hume, Friedrich Nietzsche ou Baruch Spinoza… L’air de rien, il est déjà en train d’affûter ses armes. Comme il l’explique dans L’Abécédaire, créer ses concepts, construire sa propre philosophie, c’est un peu comme, en peinture, entrer dans la couleur. Ce n’est pas simple. Il faut du travail. Vincent Van Gogh et Paul Gauguin, qui comptent parmi les plus grands coloristes, abordaient la couleur avec respect et peur. Pour conquérir le concept, il faut aussi beaucoup de précautions, de travail et faire de l’histoire de la philosophie, laquelle est l’art des portraits, des portraits spirituels.