Alors que nous subissons encore les effets d’une immense crise sanitaire, économique et sociale, il peut paraître vain de s’interroger sur l’intérêt de ces langues bien mortes que sont le grec ancien et le latin. Les Anciens, qui ont connu leurs épidémies, leurs crises, n’ont sans doute rien à nous apprendre sur ce que nous pouvons faire et espérer aujourd’hui ; et leurs langues, qui sont hors d’usage, encore moins. Se réfugier, en plein désarrroi, dans les cultures antiques est un plaisir qui ne peut avoir qu’un temps. Ces cultures ne nous protégeront pas des périls politiques qui rôdent en Europe et ailleurs, notamment dans les remises en question radicales de nos normes démocratiques au nom de divers populismes virulents. Rome et Athènes n’ont pas été des remparts contre les dictatures triomphantes. Bien au contraire, le fascisme, le IIIe Reich et le régime de Vichy ont énergiquement encouragé l’étude de l’Antiquité.
Un contre-poison pour le présent ?
Et pourtant, ces langues vraiment mortes, au sens où elles ne sont plus des langues maternelles, où personne, ou presque, ne les parle, où aucune société ne les fait vivre, ont sans doute un rôle à jouer, comme contre-poison. Pour deux raisons qui peuvent paraître paradoxales. D’une part, ces langues restent actuelles, précisément parce qu’elles n’appartiennent à personne, à aucune classe sociale, à aucun pouvoir : elles mettent tout le monde à égalité devant l’étrangeté de ce qu’est une langue. D’autre part, parce qu’il ne s’agit pas de n’importe quelles langues, mais de celles qui, toutes deux, ont été, au moins depuis la Renaissance, la condition d’un gigantesque effort de civilisation dans l’ensemble des pays d’Europe. Cet effort, qui a touché la littérature, les arts, les sciences, la politique, a été à l’origine de nos langues et de nos cultures contemporaines.