Gregory Bateson, une pensée système

Psychologue, mais aussi anthropologue ou encore biologiste, Gregory Bateson est de ces touche-à-tout qui ont marqué le savoir de leur empreinte. Retour sur la vie et l’œuvre de ce penseur inclassable.

On lui doit le concept de double contrainte, qui en a fait le précurseur des thérapies familiales systémiques. C’est dire si Gregory Bateson (1904-1980) a marqué la psychologie, et plus encore les sciences humaines, par sa pensée foisonnante et complexe. Pour tenter de cerner celle-ci, rien de tel que de revenir sur la vie de l’homme. Né en 1904 en Grande-Bretagne, Gregory Bateson doit son prénom à l’admiration que son père, William Bateson, célèbre généticien, portait au moine botaniste autrichien Gregor Mendel, reconnu comme l’inspirateur de la génétique. Néanmoins, c’est d’abord sur ses deux frères aînés, John et Martin Bateson, que reposent tous les espoirs paternels. Or le premier, John, meurt au combat durant la Première Guerre mondiale. Et Martin, le second de la fratrie, rescapé du conflit, connaît un sort non moins tragique : déchiré par la mort de son aîné, voyant que ses penchants artistiques suscitent l’opposition de son père, il se suicidera d’une balle dans la tête à Piccadilly Circus, en plein cœur de Londres, en 1922.

Vers l’étude des interactions

C’est dans ce contexte familial douloureux que Gregory Bateson entreprend des études de biologie à Cambridge. En 1924, il saisit la proposition d’un milliardaire de l’accompagner dans un voyage aux îles Galapagos comme expert en biologie. Le séjour sera déterminant pour le jeune Bateson, qui décide alors de se tourner vers l’anthropologie. En 1927, peu après le décès de son père, Gregory Bateson part pour la Nouvelle-Guinée réaliser un travail de terrain sur l’ethnie des Baining. Une expérience pénible, à laquelle il souhaite mettre un terme après avoir contracté la malaria. Il reste néanmoins dans la région puis décide de partir à la rencontre de deux autres anthropologues, mariés à la ville, Reo Fortune et Margaret Mead. Mais il croise entre-temps l’ethnie des Iatmul et trouve là matière à de nouveaux travaux de recherche. Il fera finalement la connaissance de Mead et Fortune au début des années 1930. Entre les trois anthropologues, le Britannique Bateson, le Néo-zélandais Fortune et l’Américaine Mead, les discussions sont enthousiastes et passionnées. Le couple Fortune-Mead ne résistera cependant pas à la rencontre avec Bateson, et divorce en 1934.

Bateson et Mead convolent en justes noces l’année suivante. Ils décident de partir ensemble à Bali, où ils se lancent dans l’étude d’un village de montagne. Ils réalisent notamment un film, Transe and Dance in Bali, portant sur la vie culturelle et quotidienne balinaise. Entre-temps, en 1936, Bateson a publié un livre sur le naven, une cérémonie des Iatmul étudiés quelques années plus tôt. Ces travaux inaugurent certains fondements de sa pensée. Bateson s’aperçoit tout d’abord d’une erreur commise dans la rédaction de l’ouvrage : celle de confondre les concepts explicatifs développés dans ses recherches avec une réalité de la vie sociale. Cette réflexion sur la non-équivalence entre la réalité et sa conceptualisation – « la carte n’est pas le territoire » – traversera tous ses travaux ultérieurs. Mais surtout, dans ses premiers travaux, Bateson en vient à considérer les divers éléments d’une société non pas comme des êtres isolés mais comme des parties d’un tout organisé. Dès lors, le comportement d’un individu ne peut se comprendre que si l’on prend en compte les tiers avec lesquels il interagit. De telles réflexions forment le prélude à l’approche interactionnelle et systémique plus tard utilisée en psychothérapie.