On en parlait jusque-là plutôt à voix basse… Et pourtant, les blagues salaces et sexistes répétées, propositions de rendez-vous privés, souvent réitérées malgré les refus des destinataires, voire les attaques verbales, dénigrantes, insultantes, menaçantes, relèvent toutes du harcèlement sexuel. Autant d’actes qui créent une atmosphère délétère dans l’organisation de travail, et qui sont susceptibles d’inférioriser les victimes, généralement féminines, qu’ils soient commis devant des collègues, trop souvent hilares, ou à l’abri des regards. Sans même parler des cas d’agressions physiques, des attouchements jusqu’au viol.
Un travail organisé au masculin
« Avant toute chose, il est très important de dire que les jeunes femmes démarrent dans une organisation du travail discriminatoire, assène Marie Pezé, docteur en psychologie, psychanalyste, et créatrice en 1997 de la première consultation « Souffrance et travail » 1. Elles subissent d’entrée 20 % de revenus en moins, un ralentissement de carrière du fait de leurs enfants, et donc une retraite diminuée… Notre pays organise le travail au masculin, et impose aux femmes de supporter beaucoup de choses pour conserver leur travail. » Position d’autant plus inconfortable qu’elles se trouvent souvent à la tête de familles monoparentales et qu’elles occupent le plus souvent des postes de subordination « où il faut obéir ». « Sans cela, le phénomène du harcèlement sexuel au travail n’aurait très probablement pas la même ampleur. » Et ce n’est pas faute de réfléchir, chaque matin, à la tenue qui permettra de parer les éventuelles attaques. « Il faut afficher une féminité qui ne soit pas excessive : porter des bijoux mais pas trop, être coiffée mais pas trop, maquillée mais pas trop… C’est toujours à leur charge de trouver le bon dosage. » Ce qui ne les protège pour autant pas d’un sexisme ordinaire, ou d’un paternalisme bienveillant, qui vient conforter leur « infériorisation ». « Celles qui veulent faire carrière doivent alors soit s’aligner sur des valeurs assez agressives et masculines qui prévalent dans le management, soit se contenter de postes de secondes, où la connotation sexuelle va toujours finir par apparaître. » Plus ou moins tolérée par le dirigeant ou responsable de service…
Pourtant, le bourdonnement des blagues salaces, sexistes, ces frontières entre professionnel et personnel maintes fois franchies par de simples paroles, peuvent venir insidieusement grignoter la confiance en soi. « Entendre au jour le jour des plaisanteries plus ou moins douteuses sur les règles, les seins, le sexe, la grossesse, les cerveaux de blondes, etc., vient abraser l’estime de soi, poursuit Marie Pezé. Il devient difficile de s’affirmer, de prendre la parole en public, surtout quand on vous dit que vous avez une voix de harpie. On va toujours contester votre position d’autorité. » Et contrairement à ce que l’on aurait pu espérer, les femmes ne se défendent pas toujours entre elles… « Moi je me suis débrouillée pour ne pas me retrouver dans cette situation-là, je ne comprends pas pourquoi elle n’en fait pas autant », en penseront beaucoup. Globalement, « on voit bien qu’un boulot de femme ne vaut pas autant qu’un boulot d’homme, poursuit Marie Pezé. Mais on attendra toujours d’elles qu’elles développent toutes les fameuses vertus dites ‘féminines’, et notamment d’écouter ces messieurs quand ils ont un chagrin d’amour. » Chez celles qui subissent des assauts sévères, la psychanalyste a pu constater, dans ses consultations, des évolutions vers des compensations anxio-dépressives, avec des « manifestations somatiques dans la sphère gynécologique » : aménorrhées, métrorragies, kystes ovariens, voire cancers, ce que la psychanalyste attribue aux attaques de la féminité au quotidien. « Le corps des femmes n’est pas la mesure de l’organisation du travail. L’étalon, c’est le corps masculin. » Soulignons aussi que dans un contexte de crise économique, ces comportements peuvent empirer : « Il y a parfois radicalisation des comportements virils, qui les poussent jusqu’à la caricature. Nous sommes alors dans des ambiances de challenge, de pression… On convoque la compétition masculine, virile. Et on encourage l’humiliation de l’adversaire. Si c’est une femme, ce sera souvent sous la forme de la dénigration sexuelle. »