Ce doit être vrai, puisque tout le monde le dit : si l’homme idéal n’existe pas (pfffff, ça je le sais depuis longtemps, tu penses), on peut trouver des copies tout à fait correctes sur le net. La preuve formelle : le cousin de Machin a rencontré Machine comme ça, même qu’ils sont super amoureux et même qu’ils ont eu deux enfants. Et des comme ça, il y en a plein, si, si.
Donc, toi, 50 ans, abandonnée par ton prince charmant devenu entretemps ton vilain mari, pas le temps ni les moyens de développer ton réseau d’amis, qui pourraient sur un malentendu te présenter un super-beau-gosse-drôle-intelligent, tu te dis : « Bah sois pas conne, inscris-toi sur les sites. Après tout, qu’est-ce que t’as à perdre ? Au mieux, ça fonctionnera. Au pire, tu te feras des potes. »
Et puis le chagrin, ça s’extermine. Pour pas mourir, faut rebondir ! Ben si, si, ça aussi, tout le monde le dit.
« Ventura, es-tu là ? »
J’ai commencé fort... Titre de profil : « Ventura, es-tu là ? ». Ça calme. Enfin, ça devrait. Le premier à entrer en contact, sous le pseudo de Zorro, me pose la question qui tue : « Hello, t’es un travelo ? ». Battue par KO, je checke mes photos, où j’affiche tout de même, en toute élégance et en toute modestie, une certaine féminité. Bref, on peut pas me confondre avec un mec déguisé en fille. Rassure-toi Ginette, le mec a dû te trouver tellement canon qu’il s’est demandé si t’existais vraiment. Un peu d’autosatisfaction ne nuit pas en ces temps de disette amoureuse. Quand même, illico je change de site. Je vais là où ils disent que c’est pour les célibataires exigeants. Machin, Bidule, Truc et les autres me lancent des charmes. En vrai, c’est Gentleman, Joli Cœur, Un chéri pour la vie, j’en passe et des plus ringards. A priori, j’ai un certain succès. Sur le coup, ça rassure.
Voyons voir. Celui-là a une bonne tête, on entame le dialogue. Architecte, habitant Saint-Germain des Prés… cliché, mais pas mal, comparé à la misère de forme et de fond des « T’ai charmante », « Cc ça va » (soit, en langage site de rencontres, « Coucou, tu baises ? »), des « Je sais pas qu’est-ce que ça veut dire ce mot » (en l’occurrence, j’avais écrit « exponentiel », mais les dicos et internet, c’est sûrement fait pour les chiens maintenant), des « Tu fé koi » et « T’es d’accord pour un plan à trois ? ». Donc je devise avec mon architecte (enfin, que je crois), je l’ai même au téléphone et il me dit que quand on se verra, il criera qu’il m’aiiiiiiiiiime en me faisant voler dans ses bras. D’un coup, je me prends pour Anouk Aimée dans Un homme et une femme. Voilà, ça arrive, ils avaient raison. Le lendemain, une copine me dit « Vas-y, fais voir sa photo ». Google images et là, le choc : « brouteur » (arnaqueur) est écrit sur son visage... C’est quoi ça ? C’est sexuel ? La copine est pliée en deux. Moi j’hésite entre rire jaune avec elle et pleurer. Mon héros n’est autre qu’une équipe de cybercriminels d’Abidjan sévissant en ligne, en volant la photo d’un pauvre couillon qui se retrouve placardé partout.