Histoire de la folie à l'âge classique

Partant de l’image du fou à la Renaissance, qui inquiète et fascine à la fois, Michel Foucault montre que notre conception de la folie comme « maladie mentale » est le produit de notre culture et de notre histoire.

Histoire de la folie à l’âge classique constitue dès sa parution en 1961 un événement. L’auteur n’est encore qu’un inconnu qui publie sa thèse principale de doctorat de philosophie. Et c’est l’historien Philippe Ariès, ébloui par le manuscrit, qui le défend et le fait paraître chez Plon. Ce texte, étrange à de nombreux égards, va devenir le point de départ de bien des lectures et de bien des débats… Contesté par les uns, encensé par les autres – notamment par les tenants de l’antipsychiatrie qui en feront un de leurs livres de chevet –, Histoire de la folie est un ouvrage atypique et polémique profondément lié aux débats qui agiteront le monde psychiatrique dans les années 1960-1970.

Michel Foucault veut, comme l’indique le titre, faire l’histoire de la folie et non de la psychiatrie, laquelle n’est selon lui qu’un « monologue de la raison sur la folie » qu’elle a réduite au silence : « Il ne s’agit point d’une histoire de la connaissance, mais des mouvements rudimentaires d’une expérience. (…) Faire l’histoire de la folie voudra donc dire : faire une étude structurale de l’ensemble historique – notions, institutions, mesures juridiques et policières, concepts scientifiques – qui tient captive une folie dont l’état sauvage ne peut jamais être restitué en lui-même. » De quoi part-il alors pour faire « l’archéologie de ce silence 1 » qu’est l’histoire de la folie ? D’abord et surtout des archives brutes, pour les lire sans « préjugé psychiatrique ». Tandis qu’il est lecteur français à l’université d’Uppsala en Suède de 1953 à 1955, Foucault a accès à un fonds exceptionnel : la grande bibliothèque de l’université, la Carolina Rediviva, qui reçoit en effet, en 1950, 21 000 livres et documents sur l’histoire de la médecine, du 16e siècle jusqu’au début du 20e, légués par le docteur Erik Waller. C’est sans doute grâce à ce fonds que naît Histoire de la folie. Mais outre ces archives, et c’est encore plus étonnant, Foucault s’appuie sur des sources picturales et littéraires : Jérôme Bosch ou Pieter Bruegel à la Renaissance, Racine à l’époque classique, le marquis de Sade, Goya, Gérard de Nerval, Friedrich Nietzsche ou Antonin Artaud pour l’époque moderne. Dans le silence de la folie, ces œuvres constituent pour lui un témoignage unique et une voie d’accès privilégiée à l’expérience de la déraison.

Entre conscience tragique et conscience critique

Ce que cherche à montrer Foucault, c’est que le regard que l’on porte sur la folie dépend de la culture dans laquelle elle s’inscrit. Le fou n’a pas toujours été considéré comme un « malade mental ». Foucault esquisse donc les grandes étapes du rapport de la raison à la folie à partir de la fin du Moyen Âge jusqu’à la naissance de l’asile au 19e siècle. Il s’attache tout particulièrement à l’âge classique, les 17e et 18e siècles, car cette période constitue pour lui le véritable tournant de cette histoire de la folie en Occident en instituant le partage raison/déraison. Pris entre deux événements, la création de l’Hôpital général à Paris en 1656 et la libération des enchaînés par Philippe Pinel à l’hôpital Bicêtre en 1793, c’est l’âge classique qui permet de comprendre comment la folie a pu être réduite aujourd’hui à la maladie mentale et comment s’est structuré l’asile à l’époque moderne.