En 1998, une affaire judiciaire peu commune est traitée à la High Court de Londres. Elle concerne la plainte introduite contre un praticien de l’hypnose et auteur/conférencier/artiste à succès, Paul McKenna (une sorte de Messmer à l’anglaise). La victime, Christopher Gates, réclame quelque 20 000 livres de dommages et intérêt. Le motif ? Alors qu’il assistait à l’une des performances de McKenna en 1994, Gates est choisi comme volontaire pour se présenter sur scène : il est hypnotisé pour les besoins du spectacle et amené à « parler comme un alien ». Gates rapporte qu’il a quitté le spectacle en craignant pour sa vie, soudain terrifié à l’idée de réaliser des actes aussi anodins que prendre une douche, et commençant à percevoir des messages secrets dans les programmes télévisés. Il a perdu son emploi en 1995 avant d’être admis en unité psychiatrique où le diagnostic de schizophrénie fut posé. Au terme du procès, le juge en charge de l’affaire décide néanmoins d’innocenter McKenna, statuant que la schizophrénie est une maladie organique au développement multifactoriel qui ne peut être purement provoquée par la suggestion.
En l’occurrence, aucune donnée scientifique ou légale ne permettait de donner raison au plaignant. Cette affaire est pourtant loin d’être isolée (voir encadré). Pour preuve, dans sa version la plus récente, le très prestigieux Oxford Handbook of Hypnosis comprend un chapitre entier sur les allégations portées envers les pratiques d’hypnose auprès de la justice (qu’elles concernent des praticiens « performers » ou des psychothérapeutes « classiques »). En parallèle, dans les formations cliniques à l’hypnose, on continue de déconseiller la pratique de la suggestion chez des patients psychotiques. Qu’en est-il concrètement ? Dans certains cas, manipuler l’état de conscience pourrait-il être un jeu trop dangereux ?
« Jouer » avec la conscience
En raison de son âge avancé (près de 200 ans de pratique), de sa popularité, de l’objectif de ses méthodes comme de ses effets parfois impressionnants, l’hypnose véhicule naturellement chez le grand public des croyances et des mythes.
L’American Psychological Association définit l’hypnose comme une technique durant laquelle les cliniciens utilisent des suggestions auprès de sujets ayant été préalablement soumis à une procédure visant à les détendre et à les préparer sur le plan attentionnel. Pourquoi, sur ce principe, l’hypnose et la schizophrénie feraient-elles si mauvais ménage ? De manière très générale, l’idée sous-jacente est que la schizophrénie est déjà une pathologie de l’état de conscience. Dès lors, modifier celui-ci à dessein pourrait être un processus hasardeux. En effet, dans la schizophrénie, de nombreux symptômes pourraient être reliés à un défaut dans la « conscience de soi », aussi appelée agentivité ou sense of agency.
Pour simplifier, le sense of agency ou SoA relève d’une expérience primordiale et pourtant fragile qui renvoie au sentiment de générer et de contrôler ses propres actions, et de pouvoir exercer une influence sur les événements externes. Des interruptions ou des troubles du SoA peuvent donc caractériser les symptômes psychotiques comme les phénomènes de passivité et délires d’influence. Par exemple : l’impression d’être contrôlé par une source externe comme des ondes radio, l’impression que des pensées qui ne sont pas les siennes ont été introduites dans son esprit, etc. Ce flou entre l’interne et l’externe, les limites de son propre corps et de son esprit, l’impression de ne plus être en contrôle de ses actions… tout cela ressemble vaguement à la phénoménologie et à l’expérience qui peuvent être faites sous induction hypnotique, et ce, chez des personnes tout à fait « saines ». Dès lors, pratiquer l’hypnose dans le cadre de la psychose reviendrait à ajouter de l’essence sur un feu déjà bien alimenté.