Peut-on faire faire n'importe quoi à n'importe qui simplement par suggestion hypnotique ? Un siècle après les spectaculaires leçons du mardi où Charcot hypnotisait ses patientes hystériques devant un public fasciné, nombreux sont les hypnothérapeutes qui vous feront comprendre gentiment, mais fermement, qu'ils n'aiment pas être confondus avec un magnétiseur de music-hall, et qu'il convient de distinguer ce qui relève de l'hypnose de spectacle de l'hypnose médicale. Auréolée de soufre, tantôt taxée de supercherie (les patients simuleraient), tantôt objet d'inquiétude (jusqu'à quel point peut-on perdre le contrôle de soi-même ?), l'hypnose s'est pendant longtemps heurtée à la méfiance des cercles scientifiques. Car, si les travaux des précurseurs (Charcot, Bernheim, Freud : voir encadré), puis, au XXe siècle, ceux du psychiatre Milton Erickson ou du psychanalyste Léon Chertok, ont joué un rôle important dans sa réhabilitation, aucun substrat neurophysiologique ne pouvait en expliquer les mécanismes. Or, la donne a changé. En Europe, le premier temps fort de cette révolution se situe dans les années 1990, avec l'entrée de l'hypnose à l'hôpital. En 1992, dans le service de chirurgie plastique du CHU de Liège, l'équipe de l'anesthésiste Marie-Elisabeth Faymonville tente un nouveau protocole qui combine anesthésie locale, hypnose et sédatifs. On demande au patient de revivre un souvenir autobiographique agréable afin de se distraire de la chirurgie. Et les résultats sont étonnants : non seulement l'hypnose permet de donner moins de médicaments aux patients, mais ils abordent l'intervention avec moins d'anxiété (1). Précisément, la prise en charge de la douleur est désormais devenue une priorité dans les établissements hospitaliers. Aujourd'hui, précise le Docteur Jean-Marc Benhaiem, praticien en centre de traitement de la douleur, président de l'AFEHM (Association française pour l'étude de l'hypnose médicale) et directeur du seul Diplôme universitaire d'Hypnose médicale français à La Salpêtrière, « les études sur les douleurs sont très nombreuses et concluantes, ce qui explique que l’hypnose soit pratiquée dans la moitié des centres de traitement de la douleur en France. »
L’état hypnotique se voit dans le cerveau
La psychologue Fanny Nusbaum a eu son premier contact avec l'hypnose grâce à une amie de la famille, « qui animait un groupe de relaxation/hypnose pour enfants ». Elle raconte : « Cette approche m'a soutenue et transformée dans une enfance particulièrement tourmentée : j'ai découvert que je pouvais, en modifiant mon état de conscience, me projeter dans des univers merveilleux quand la réalité était décevante, que j'avais la possibilité d'être une autre personne, un animal, un arbre, que j'étais capable de m'envoler dans les airs et de prendre mon petit-déjeuner sur une étoile... Je me suis aussi rendue compte qu'en cultivant cette pratique d'"évasion", au lieu de m'éloigner du monde, je m'en suis au contraire rapprochée. Car mes relations avec l'environnement en sont devenues plus sereines. L'hypnose m'a probablement "sauvée" d'une dépression infantile. C'est donc tout naturellement qu'au début de mon parcours universitaire de psychologie, j'ai entrepris de me former en sophrologie, puis en hypnose. » Un discours qui pourrait, de prime abord, irriter des scientifiques chevronnés. Or, explique Fanny Nusbaum, et des milliers d'études européennes et américaines le confirment désormais, quand on hypnotise quelqu'un, ça se voit à l'intérieur, dans son cerveau (2). La preuve ? A l'imagerie - par résonance magnétique (IRM) ou par tomographie par émission de positons (TEP) -, certaines zones cérébrales d'un patient hypnotisé s'activent ou s'inhibent. « Nous avons mené, avec le soutien de la Fondation APICIL (Association de prévoyance interprofessionnelle des cadres et ingénieurs de la région lyonnaise), une étude par imagerie cérébrale sur une population de lombalgiques chroniques, explique Fanny Nusbaum, et nous avons pu mettre en évidence un réseau cérébral spécifique activé lors d'une hypnoanalgésie (soulagement de la douleur par hypnose). Nous avons noté que l'état hypnotique agissait sur la douleur en activant un réseau cérébral émotionnel, comprenant le cortex frontotemporal, l'insula, les noyaux caudé, accumbens et lenticulaire, ainsi que le cortex cingulaire antérieur. Aujourd'hui, nous poursuivons nos recherches dans le champ de la fibromyalgie, pour étudier par IRM l'impact d'une suggestion hypnotique émotionnelle sur ce type de douleur diffuse. »