Libéralisme, marxisme, nationalisme, anarchisme, fascisme, régionalisme, écologisme... Le suffixe « isme », accolé à un système d’idées, suffit à le reconnaître comme idéologie. Les idées politiques semblent être le domaine naturel où se déploient les idéologies. Mais on peut déceler aussi des « ismes » dans le domaine des arts (cubisme, symbo- lisme, surréalisme), et même dans les sciences : ne parle-t-on pas de darwinisme, freudisme, cognitivisme ? Y aurait-il des traits similaires entre les idéaux politiques, les théories scientifiques, les courants de pensée en littérature ?
L’idéologie, science des idées...
Le philosophe et homme politique Antoine Destutt de Tracy (1754-1836) conçut le mot « idéologie » pour désigner une nouvelle « science des idées », dont il voulut jeter les bases dans Éléments d’idéologie (4 vol., 1801-1815). « On n’a qu’une connaissance incomplète d’un animal, si l’on ne connaît pas ses facultés intellectuelles. L’idéologie est une partie de la zoologie, et c’est surtout dans l’homme que cette partie est importante et mérite d’être approfondie. »
L’idéologie se veut d’abord une science de la formation des idées, de leurs conditions de naissance et d’évolution (des perceptions aux idées abstraites) à leurs lois d’organisation (la grammaire, la logique...). Mais son objectif s’étend au-delà. L’idéologie se veut un projet à la fois scientifique et éducatif. Scientifique, puisqu’il s’agit de percer le secret des idées et de révéler ainsi la démarche de la pensée « juste ». Pédagogique, car l’objectif ultime est de transmettre au plus grand nombre les règles de la pensée « juste ».
A. Destutt de Tracy va rassembler autour de son projet toute une pléiade d’auteurs : le marquis de Condorcet, Constantin Volney, Pierre Cabanis, Philippe Pinel, Georges Cuvier, Jean- Baptiste Lamarck, Louis-François Jauffret. Ces hommes vont participer à la Révolution et être proches de la vie politique, comme conseillers et législateurs (ils eurent un rôle important sous le Directoire et le Consulat). Ils veulent promouvoir l’éducation, perçue comme un moyen de transformation politique et de gouvernement. Leur œuvre est impressionnante. En quelques années, ils furent à l’origine de la création des écoles centrales (les ancêtres des lycées), des grandes écoles (écoles normales supérieures, écoles polytechniques, écoles des langues orientales). Ils organisent l’Institut de France et jettent les bases de ce qui deviendra le musée de l’Homme.