IHP de Sainte-Anne : la psychanalyse fait de la résistance

Des consultations psychanalytiques gratuites et accessibles à tous : voilà le défi de l’Institut Hospitalier de Psychanalyse, récemment ouvert à l'hôpital Sainte-Anne, à Paris. Village gaulois dans un paysage neurobiologique, ou témoignage de la capacité de la psychanalyse à innover et à se transformer ? Le Cercle Psy a mené l'enquête.
Autant laisser tout de suite à la porte les préjugés que vous pouvez avoir sur l'hôpital psychiatrique, ses soignants revêches et ses corridors dont le mobilier et l'éclairage justifient à eux seuls l'entrée en dépression sévère : à l'Institut Hospitalier de Psychanalyse de Sainte-Anne, l'hospitalité commence précisément par le soin apporté aux locaux, et l'idée que ça n'est pas parce qu'une personne est en état de grande souffrance psychique qu'elle n'est pas sensible au beau. Le lieu a été créé en mai 2011 par une figure de la psychanalyse en France, Françoise Gorog. Pendant longtemps, elle fut la seule femme mais aussi la seule lacanienne se revendiquant comme telle à diriger, à Sainte-Anne, un service de psychiatrie. Ateliers d'écriture, de cuisine, de philo, de danse ou de relaxation proposés aux patients, possibilité de revenir aux ateliers ou en accueil déjeuner après l'hospitalisation, patients en tenue de ville, psychiatres tous formés à la psychanalyse et ne portant pas de blouse blanche, séminaires de psychanalyse et de sciences humaines pour le personnel soignant... Outre son activité extrahospitalière, les deux pavillons qu'elle a dirigés pendant plus de vingt années, l'un ouvert, l'autre fermé, ont été des modèles de ce que la psychiatrie hospitalière peut donner de mieux quand elle cesse de se vautrer dans la frénésie sécuritaire pour se concentrer enfin sur ce que devrait être sa mission première : prendre soin de nos fous. Françoise Gorog fait partie de ces soignants qui n'hésitent pas à aller passer les fêtes de Noël à l'hôpital auprès des patients, ou à aider les infirmières à nettoyer l'appartement enseveli sous les détritus d'une personne en voie de clochardisation. A l'heure où, du fait des terribles restrictions budgétaires dont pâtit la psychiatrie en France, les réunions d'équipes dans un nombre grandissant de services se limitent de plus en plus à un triste jeu de chaises musicales pour pouvoir gérer à flux tendu le manque de lits disponibles, son départ du Secteur 16 de Sainte-Anne en mai 2011 en a inquiété beaucoup – mais aussi réjoui ceux qui considèrent la psychanalyse comme un bibelot exotique dont la place doit désormais se cantonner aux bibliothèques ou aux musées.

Médecine à deux vitesses versus psychanalyse pour tous

Philosophe, Françoise Gorog constate : « Quand j'ai commencé ici, la file active était de 800 malades. Quand j'ai laissé le secteur 16, en mai dernier, nous étions à 2 500 malades. Entretemps, le personnel médical et psychologique s'était accru de peut-être un quart de plus, grand maximum. Avec la politique d'austérité qui se dessine, il faut quand même être réalistes. » Du fait de la politique de sectorisation[1], son service ne pouvait accueillir que les seuls patients du quinzième arrondissement. La naissance de l'Institut Hospitalier de Psychanalyse (IHP), au moment même où se créé la communauté hospitalière de territoire[2], tombe donc, dit-elle, à point nommé. Le projet de l'Institut ? Proposer aux parisiens qui le souhaitent des consultations gratuites avec un analyste, mais aussi être un lieu de transmission de la psychanalyse. On pourrait penser que l'idée, si louable soit-elle, n'a rien de bien nouveau : depuis 1946, le très réputé Centre Claude Bernard propose un service de diagnostic et de soins ambulatoires pris en charge par la Sécurité Sociale et les caisses Mutualistes après accord médical, qui est également une plate-forme d’enseignement pour les analystes en formation de la Société Psychanalytique de Paris (S.P.P.). Le Centre de Consultations et de Traitements Psychanalytique Jean Favreau est également une émanation de la SPP. D'autres sociétés de psychanalyse comme Espace Analytique, avec l'École Expérimentale de Bonneuil, ont développé des structures a priori équivalentes. Or, précisément, toute l'originalité de l'Institut Hospitalier de Psychanalyse tient aussi en ce qu'il n'est affilié à aucune société de psychanalyse. Ainsi, si Françoise Gorog est membre des Forums du Champ Lacanien, comme son collègue Francisco Herrada, les autres membres de l'équipe viennent d'horizons très différents : le Dr Luc Faucher, psychiatre à l'IHP, est à l'Association Lacanienne Internationale (ALI), Patrick Guyomard, responsable de l'un des séminaires d'enseignements, se trouve à la tête de la Société de Psychanalyse Freudienne (SPF), où l'on étudie aussi bien les apports de Lacan, que ceux de Freud ou des kleiniens. Psychologue, Éléonore Galiana-Mingot se réfère davantage à la Société Psychanalytique de Paris (SPP), la plus ancienne association se réclamant de Freud, et qui se caractérise notamment par son insistance sur le cadre fixe des séances, l’interprétation du transfert et l’analyse du contre-transfert. Tout en ayant une orientation différente de celle de ses collègues lacaniens sur certaines questions théorico-cliniques, Éléonore Galiana-Mingot n'a pas hésité avant de rejoindre l'Institut. Elle explique, enthousiaste : « « L’IHP représente pour moi une occasion de défendre l’une des valeurs essentielles du service public malheureusement de plus en plus négligée, qui est l’accès au soin offert à tous les citoyens. C'est un pas, certes modeste, mais sur une voie ambitieuse consistant à quitter le modèle de la médecine à deux vitesses pour nous rapprocher de celui de la psychanalyse pour tous. » Sophie Rigaud, qui travaille depuis dix ans avec Françoise Gorog, prend en charge toute la partie logistique et administrative de l'Institut, et s’occupe aussi de réceptionner les appels et de répartir les rendez-vous. Et les demandes commencent à affluer : « L'Institut démarre, mais nous avons déjà plus de 50 nouvelles demandes pour une file active de 130 personnes ».