Il n'y a pas que le QI !

Des définitions de l’intelligence sont le reflet des sociétés. Notre époque est prompte à croire aux chiffres ; elle s’est entichée du QI. Elle a pris au pied de la lettre la boutade de son inventeur Alfred Binet : « L’intelligence, c’est ce que mesure mon test. » Adultes ou enfants, chacun veut connaître le sien. Des médias aux cabinets des psychologues, tout un marché s’est créé pour répondre à cette anxieuse demande sociale, comme si du QI dépendaient tout à la fois notre valeur, nos chances de réussite et nos relations aux autres.

Le QI, pourtant, ne constitue ni une définition philosophique, ni une évidence mathématique. Il reste source de malentendus. Ce quotient ne mesure pas l’intelligence comme la toise mesure la taille. Il se contente de comparer (avec une marge d’erreur) les performances cognitives d’un individu par rapport à ses pairs du même âge, ce qui n’est d’ailleurs pas sans effets pervers sur nos représentations du corps social. Il ne promet rien. On peut avoir un « haut potentiel » et tout rater. On peut se prévaloir d’un QI de 140 mais se montrer déconnecté des réalités ; être brillant en maths et infirme en amour.

Qu’est-ce donc que l’intelligence ? La capacité d’adaptation ? La finesse, l’acuité, la profondeur ? Une certaine ouverture à la complexité, à l’inconnu, à la nouveauté ? Les définitions esquissent des pistes mais échouent à enserrer cette notion. L’intelligence déborde toujours. Elle n’existe que par ses manifestations, aussi variées et nuancées que la palette humaine : c’est le coup de génie du footballeur, la trouvaille du savant, le flair de l’enquêteur, la créativité de l’enfant, la lucidité de l’aïeul, la délicatesse de l’ami, la malice du clown, la perspicacité du soignant, la débrouillardise du bricoleur, l’illumination du poète, la sensibilité du pianiste, la sagacité lumineuse du philosophe.

Les Grecs avaient une perception tout autre que la nôtre, qui incite au décentrement. Pour les contemporains de Platon, l’intelligence n’était pas en nous, comme nous le pensons un peu présomptueusement aujourd’hui, mais dans le monde même. Saisir l’intelligence du monde supposait de sortir de soi par un effort de la pensée. Une combinaison dynamique de travail, de curiosité, de rationalité et d’intuition, alimentée par une volonté farouche de comprendre ce qui se cache derrière le voile des êtres et des choses. On a beau chercher à modéliser l’intelligence, la chiffrer, progresser dans son élucidation, tenter de la recréer via des algorithmes, cette puissance de dévoilement de la pensée humaine garde une irréductible part de mystère. 

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