Ils ont changé de vie

Jean-Louis
Quitter l’image pour la vraie vie

Arnaud de Wildenberg, 60 ans, guide de pêche à Belle-Île, après avoir été photographe et grand reporter.

J’ai eu deux vies professionnelles. Mais je dirai plus simplement, deux vies. Pendant 25 ans, j’ai d’abord été photographe, et même reporter de guerre. Il m’arrivait de partir couvrir des conflits et je dois reconnaître la fascination que ces situations extrêmes ont exercée sur moi. À plusieurs reprises, je me suis trouvé dans des contextes très dangereux, mais je le vivais étrangement bien. On réfléchit plus fort, tout va plus vite. Et après la décharge d’adrénaline, on plane, on se sent invincible. Lorsqu’on regagne la France tranquille après une mission, on ne peut partager ce que l’on a vécu. Tout est trop calme, et il est très dur de se réadapter rapidement avant de repartir. Difficile alors de savoir où est la vraie vie… Pour toutes ces raisons, j’ai réorienté mon activité en me formant aux techniques américaines, supposant plus de mise en scène et du travail en studio. C’est intéressant aussi et très rémunérateur. Mais j’ai fini par sentir que je m’asséchais émotionnellement. Un conflit avec la rédaction principale pour laquelle je travaillais m’a poussé à m’éloigner du métier.

Avec ma femme, nous avons aussi cherché à quitter la région parisienne. J’ai grandi à la campagne et la nature est toujours restée une source d’équilibre pour moi. J’avais 48 ans lorsque nous nous sommes installés à Belle-Île, et il me restait une nouvelle tranche de vie professionnelle à inventer. Au début, je suis revenu régulièrement à Paris pour la photo, mais j’avais déjà changé de vie dans ma tête et je me suis peu à peu tourné vers une activité touristique de pêche. Quelle épreuve de vérité, de se retrouver en mer, avec l’horizon à 360° autour de soi par tous les temps ! Le plus satisfaisant, c’est surtout d’apporter du bonheur aux passagers. Je sens qu’ils repartent regonflés, délestés de leurs tensions. Cela donne sens au choix de venir vivre sur cette île. •


Emma
6 mois pour fonder une famille

Emma, 46 ans, a troqué sa libre vie de célibataire pour tomber amoureuse et devenir mère de famille… nombreuse.

publicité

L’année de mes 38 ans, mon médecin m’a incidemment demandé si j’avais envie d’avoir des enfants, car je n’en prenais pas le chemin, vu mon âge. Électrochoc ! Le soir même, je racontais la mésaventure par mail à un copain de mon cours de salsa. Mais pourquoi lui ? Ce n’était certainement pas un hasard. Nous nous sommes revus et la confidence nous ayant rapprochés, nous sommes sortis ensemble. Tout est allé très vite ensuite car je suis tombée enceinte six mois plus tard. Et comme mon compagnon était déjà papa de jumeaux, j’ai basculé d’un coup d’une situation de célibataire à un statut de mère de famille gérant trois enfants. Une métamorphose pas toujours facile à vivre. J’avais commencé par construire ma vie à l’envers des autres. J’ai rencontré à 16 ans un garçon super avec lequel je me suis mariée à 22 ans, avant même d’avoir fini mes études, pour vivre une vie très rangée, sans enfant. Je l’ai accepté, probablement pour de mauvaises raisons. Il était le gendre idéal que mon père avait beaucoup aimé avant de mourir, et j’étais peut-être plus fidèle à la mémoire paternelle qu’à mes aspirations profondes.

Mais un jour, j’ai explosé. J’ai vécu une aventure très forte avec un homme et j’ai donc tout quitté pour traverser deux années chaotiques avec lui. J’ai poursuivi ma route en solo pour goûter, à trente ans, la liberté des célibataires. C’était une période grisante, je devais complètement réapprendre les codes de séduction. Mes amis m’ont beaucoup aidée.

Autre séisme : le suicide de mon frère. J’ai été dévastée par cette nouvelle. Mais j’ai surmonté ce drame en trouvant l’énergie d’en comprendre la raison. Et moi, du coup, j’ai pu re-partir plus sûrement. C’est notamment cet épisode, avec le soutien d’une psychologue, qui m’a appris à négocier d’autres virages, comme le fait de devenir mère à 40 ans. J’ai relativisé les tensions, leurs humeurs d’ado… Tout cela est tellement vain par rapport aux séismes de la vie. S’en rappeler allège considérablement le quotidien et permet de s’ouvrir aux meilleurs changements possibles. •