Il a 10 ans lorsque son frère aîné, qu’il admire tant, l’oblige à se dévêtir devant lui. Suivront, quelques mois plus tard, des fellations, données et reçues, puis des actes de sodomie. Des années durant, il se taira pour ne pas trahir ce secret, qui, dira-t-il pourtant, a saccagé sa vie : son père est un personnage public et il vient d’une famille très catholique (1).
Séparée de son compagnon, elle s’absente quelques heures pour aller faire des courses et lui confie leur bébé de 16 mois. Quand elle retrouve sa fille, elle constate qu’elle fait une hémorragie. Transportée à l’hôpital, la petite est sauvée de justesse. Verdict : le père, qui n’avait pourtant jamais eu de problèmes avec la justice, a violé son propre bébé.
Petite, elle n’a pas été élevée par son père. Quand elle le revoit, elle est adulte. Ils deviennent amants. Jamais il ne la forcera à coucher avec lui, elle le fait de son plein gré de femme adulte, écrit-elle dans son Journal (2). Et pourtant, écrit Anaïs Nin dans ces pages qui font d’ailleurs penser à la fin d’Une semaine de vacances (3) de Christine Angot : « Quand j’ai vu Père s’éloigner à la gare, je me suis sentie à la fois misérable et glacée. Je restai assise, inerte, obsédée par mes souvenirs. Lourde comme du plomb. Je quitte un homme que j’ai eu peur d’aimer (…). Depuis cet instant, la réalité a coulé au fond de la mer. J’ai vécu dans un rêve. »
Ces situations sont d’autant plus glaçantes qu’elles sont réelles. Les chiffres concernant l’inceste le sont tout autant : en France, l’inceste concernerait 2 millions d’adultes qui, dans leur enfance, en ont été victimes (4). Mais combien d’enfants à l’heure actuelle ? Difficile à dire. Dans 90 % des situations, les victimes d’inceste se taisent : seuls 15 000 nouveaux cas de violences sexuelles sur mineurs sont constatés chaque année.
Certaines enquêtes épidémiologiques circulent mais la variation des chiffres d’une étude à l’autre est importante, principalement du fait des définitions variables de l’acte incestueux – les attouchements sans pénétration sont parfois comptabilisés, parfois non.
Depuis le milieu des années 1980 en France, la médiatisation croissante de procès et de témoignages de victimes d’inceste laisse parfois à penser, à tort, que ce type de passages à l’acte irait crescendo. Mais bien évidemment, l’inceste existe depuis que la sexualité existe.
« Si tu parles, papa ira en prison »
Actuellement en France, 20 % des procès d’assises concernent des victimes d’inceste. Mais pourquoi se taisent-elles, la plupart du temps ?
Ce silence des victimes, c’est celui lié à l’effroi, à la culpabilité, à la honte, à la sidération, mais également à un mécanisme de défense isolé par le psychanalyste Sándor Ferenczi : l’identification à l’agresseur. Ce processus va amener l’enfant à chercher à comprendre son violeur, à trouver des justifications aux agressions sexuelles (« Il a dit qu’il m’aimait », « C’est ma faute si c’est arrivé »), à lui pardonner. Et puis, il y a le silence de l’entourage. Le silence de ceux qui savent mais font semblant de ne pas voir – par lâcheté, par faiblesse, ou par honte, aussi. Sans oublier la culpabilisation dont certaines victimes font l’objet : « Ne répète jamais ce que papa/grand-père/ton frère a fait, ça n’existe pas. Si tu parles, il ira en prison. »