« L’intelligence, c’est ce que mesurent mes tests ! » On attribue au psychologue français Alfred Binet (1857-1911) – le créateur des premiers tests d’intelligence – cette fameuse réplique. La formule est apocryphe, mais elle sonne juste. En un siècle de débats et de me- sures, personne n’a jamais proposé une définition satisfaisante de l’intelligence. Comment différencier l’intelligence animale de l’intelligence humaine ? L’intelligence humaine de celle des machines ?
Le moins intéressant, à propos de l’intelligence, est la question de sa définition. Faute d’en proposer une qui fasse l’unanimité, mieux vaut regarder comment s’est construite la notion, comment on a cherché à saisir et mesurer cette insaisissable aptitude, mais à laquelle on tient tant.
Intelligence unique ou spécialisée ?
L’intelligence est entrée en psychologie avec les tests d’intelligence. Les premiers furent créés par A. Binet. Il s’agissait alors de créer un outil permettant de dépister les élèves déficients intellectuellement afin de les mettre dans des structures spécialisées, à une époque où l’école primaire s’est généralisée. Quelques années plus tard, en 1912, le psychologue allemand William Stern établit le premier test de quotient intellectuel : le fameux QI alors défini comme le rapport entre l’âge mental et l’âge chronologique d’un individu. La création de ces tests marque le départ d’une vaste entreprise de mesure de l’intelligence, qui, des années 1920 aux années 1960, va être un des thèmes dominants des recherches en psychologie et occuper plusieurs générations de psychologues. Résumons quelques étapes.
Après le développement des échelles d’intelligence, un premier grand débat va agiter les psychologues pour savoir si l’intelligence est une qualité unique, qui s’exprime dans de nombreux domaines (le langage, le raisonnement, la mémoire) ou s’il existe des compétences spécialisées distinctes les unes des autres.
Le psychologue anglais Charles Spearman (1863-1945) fut le premier à affirmer l’existence d’une intelligence générale. Dès 1904, il présentait une méthode statistique nouvelle – l’analyse factorielle – qui le conduisit à découvrir l’existence d’un seul facteur général – le facteur G – qui serait à la source des performances des élèves dans différentes épreuves. Si un élève réussissait bien dans une épreuve de raisonnement logique, il avait tendance à mieux réussir dans les autres épreuves : c’est donc qu’il existerait une « intelligence générale » impliquée dans toutes les tâches. Dans les années 1930, le psychologue américain Louis L. Thurstone allait parvenir à de tout autres déductions. En affinant la méthode de l’analyse factorielle, il parvint à la conclusion que la réussite dans une épreuve (de logique par exemple) manifestait une aptitude spécifique, différente des aptitudes verbales ou spatiales (représentation de figures géométriques). Son modèle de l’intelligence dit « multifactoriel » aboutissait à isoler des facteurs spécifiques : verbal, logique, spatial, etc.