Internet change-t-il le cerveau ?

Beaucoup s'interrogent quant à l'impact des médias numériques sur la cognition et le cerveau humains. Internet rend-il bête ? comme l'évoque le titre provocateur de la version française (1) de The Shallows : What the Internet Is Doing to Our Brains, ouvrage paru en 2010 sous le plume de Nicholas Carr. Deux ans auparavant, le même auteur avait déjà rédigé un article qui avait fait grand bruit aux États-Unis et continue à susciter des débats passionnés : Is Google Making Us Stupid ?, paru dans le magazine The Atlantic. Internet nuit-il donc à nos capacités intellectuelles ?
 
Nicholas Carr n'est pas un scientifique, mais un journaliste et essayiste dont les sujets de prédilection ont trait aux nouvelles technologies. De son propre aveu, il passe le plus clair de son temps à naviguer sur Internet. Aussi est-ce essentiellement dans son expérience personnelle qu'il a puisé les éléments qui l'ont conduit à conclure qu'Internet modifie l'esprit, donc le cerveau, et qui plus est, dans un sens peu favorable à l'intelligence humaine et à la connaissance profonde des choses.
Il n'est pas le seul à être taraudé par les questions qu'il soulève, loin s'en faut, mais nous devons à la vérité de reconnaître que peu d'études scientifiques nous éclairent quant à l'impact, positif ou négatif, des nouvelles technologies de l'information sur notre système nerveux, nos facultés intellectuelles et notre culture. L'heure est encore plutôt au débat des idées et aux intimes convictions qu'à l'élaboration de modèles fondés sur la démarche expérimentale indissociable de la science. Dès lors, il n'est pas étonnant qu'on avance tout et son contraire. Pour les uns, comme Nicholas Carr, Internet tendrait à nous rendre « idiots » ; pour d'autres, la toile est une porte ouverte vers la multiplicité des savoirs et le progrès humain. Ainsi que le souligne le professeur Pierre Fastrez, chercheur qualifié du Fonds National de la Recherche Scientifique (FNRS - Belgique) au sein de l'École de communication de l'Université catholique de Louvain (UCL), il faut sortir des positions dogmatiques et relativiser le propos : « Plutôt que de se demander si Internet nous rend stupides, il serait plus fécond d'étudier comment former les gens à un usage intelligent de cet outil dans des pratiques de recherche ou d'appropriation de l'information. »

Incapables de se concentrer ?

Une des principales critiques que Nicholas Carr adresse à Internet est d'avoir entraîné une rupture avec la lecture « calme et profonde » qui était la règle auparavant, lorsque le lecteur se plongeait dans un livre ou dans un texte bien argumenté. Qu'écrivait-il dans son article Is Google Making Us Stupid ? « Je passais des heures à me laisser porter par de longs morceaux de prose. (…) Désormais, ma concentration commence à s'effilocher au bout de deux ou trois pages. (…) La lecture profonde, qui était auparavant naturelle, est devenue une lutte. »
Pour étayer ses assertions qui, au départ, ne reposent que sur de l'auto-observation, Nicholas Carr affirme que des amis et connaissances sont logés à la même enseigne que lui, que certains, pourtant férus de littérature, ont même arrêté de lire des livres car ils sont devenus incapables de se concentrer durablement. Il précise qu'une étude réalisée par des chercheurs de l'Université de Londres montre que les visiteurs de deux sites fournissant des livres électroniques, des articles de journaux et d'autres sources écrites, ne lisent généralement pas plus d'une ou deux pages des documents qu'ils consultent avant de se précipiter sur un autre site. Pour lui, le surf sur Internet a changé notre façon de penser, ni plus ni moins. Épousant l'opinion de Maryanne Wolff, psychologue du développement à la Tufts University, aux États-Unis, il estime que le style de lecture promu par Internet célèbre le culte de l'efficacité et de l'immédiateté et, par là même, fragilise « notre capacité à interpréter les riches connexions mentales qui se produisent lorsque nous lisons profondément et sans distraction ».