Irvin Yalom, itinéraire d'un «thérapeute existentiel»

Auteur de manuels et d’articles scientifiques, de nouvelles et de romans, le psychiatre américain Irvin Yalom publie, à 86 ans, son autobiographie. Son dernier livre, annonce-t-il. L’occasion de revenir sur son parcours.

La thérapie du bonheur ». C’est le nom d’un film de Sabine Gisiger, dans lequel Irvin Yalom joue son propre rôle. Promettre le bonheur aux patients… Vraiment ? Le psychiatre américain a plus précisément développé une thérapie existentielle, exposée dans son ouvrage éponyme, qui s’attelle aux manières dont les grandes questions sur la mort, la liberté, l’isolement fondamental et le sens de la vie, nous travaillent. Comment celles-ci nous dépassent, au point de nous terrifier, de nous désespérer parfois. Le but étant d’apprendre à vivre avec et de mieux vivre tout court, heureux de surcroît, quand le simple questionnement universel prend une tournure pathologique. Rien à voir avec une image lisse et rose du bonheur prêt à l’emploi ! À l’heure où les sciences dures et les cognitivistes gagnent du terrain dans le champ de la psychologie, ce retour aux fondamentaux philosophiques a quelque chose de ressourçant. Il offre une autre voie possible entre le behaviorisme scientifique et la psychanalyse freudienne, entre la psychiatrie et la psychologie.

Vertige existentiel

Vienne, 1970. À 39 ans, Irvin Yalom est déjà professeur à l’université de Stanford et récemment auteur d’un manuel à succès sur la théorie et la pratique de la thérapie de groupe. Tout lui sourit, mais il arrive tourmenté dans la ville de Freud, où il vient assurer un enseignement 1. Personnellement, il est bouleversé par le décès d’un ami, emporté par un cancer, d’autant plus qu’il s’inquiète pour sa propre santé et attend des résultats d’analyse. Tout ira finalement pour le mieux physiquement, mais pas psychiquement et son angoisse de la mort devient envahissante. Il sait qu’il doit travailler sur ce sujet et profite de son séjour autrichien pour rencontrer le célèbre psychiatre Viktor Frankl 5, l’inventeur de la « logothérapie » centrée sur le sens de la vie. L’échange ne produit pas l’effet espéré et l’apaisement viendra plus tard.

Intellectuellement, Vienne le renvoie aussi à son questionnement sur la prise en compte des angoisses existentielles avant l’avènement de la psychanalyse. Comment les philosophes pensaient ces questions depuis l’Antiquité et les reliaient au quotidien de leurs contemporains 2. La lecture de l’essai Existence du psychologue américain Rollo May 6, paru en 1958, qui soulève ces questions en les confrontant à la philosophie de Nietzsche et de Kierkegaard notamment, a déjà changé le cours de sa pratique. Yalom s’est depuis formé en philosophie, a exploré la pensée d’Épicure, de Marc Aurèle, de Montaigne… Et à ses yeux, Freud n’a décidément pas tout inventé. Reste à trouver le moyen d’incorporer 2 500 ans de sagesse existentielle dans la psychothérapie. De canaliser son propre vertige devant la mort, l’inquiétante liberté ou l’absence de sens, comme celui de ses patients.

À son retour aux États-Unis, il poursuit sa formation philosophique, mais aussi littéraire et découvre avec bonheur comment ces « enjeux ultimes » traversent les œuvres de Dostoïevski, Tolstoï, Beckett, Kundera, Hesse… Il les voit plus clairement affleurer dans ses échanges avec ses patients et sent vite la possibilité de modéliser une nouvelle approche. Ce sera sa théorie existentielle.