Je procrastinerai... demain

La procrastination, c’est la tendance à remettre à plus tard ce qu’on pourrait faire tout de suite. Comment l’explique-t-on ? Qui sont les champions en la matière ? Est-ce toujours un défaut ?

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J’avais prévu de commencer hier la rédaction de cet article. Mais j’ai temporisé, indécis, et habité d’un léger sentiment de culpabilité devant mes atermoiements. Puis, je suis allé au cinéma. Bref, j’ai procrastiné. Tous, à des degrés divers, il nous arrive de remettre à plus tard ce que nous pourrions accomplir sur-le-champ. Le mot « procrastination » remonte au début des temps modernes. Comme le souligne Marie My Lien Rebetez, post-doctorante au sein de l’unité de psychopathologie et de neuropsychologie cognitive de l’Université de Genève, il revêt à l’époque une connotation neutre, voire positive, car il renvoie alors à l’idée que ne pas agir peut être une sage décision.

Quand se développe la pensée libérale au cours du XVIIIe siècle, la procrastination prend une coloration morale négative du fait, signale Marie My Lien Rebetez, « qu’elle implique de délaisser ses propres obligations à autrui, mais également par son association progressive avec le terme ‘‘paresse’’ ». Et au XIXe siècle, elle apparaît contraire aux valeurs portées au pinacle par la révolution industrielle, en particulier l’accomplissement de soi par le travail et, en conséquence, le respect des obligations et des échéances. Qu’en est-il aujourd’hui ? Diverses positions s’opposent. Tantôt il peut être question d’une « tendance pathologique à différer » 1, tantôt, aux antipodes, de « l’art de reporter au lendemain ». Cette dernière approche émane du philosophe John Perry, professeur émérite à l’Université de Stanford, lequel vante les mérites de la « procrastination structurée » qui, selon lui, consiste à « accomplir beaucoup de choses tout en négligeant d’en accomplir d’autres ». Marie My Lien Rebetez cite l’exemple proposé malicieusement par le philosophe américain : « Qui a inventé la roue ? Quelqu’un à qui la mère a demandé de ‘‘sortir et d’inventer la roue’’ ? Non ! Sa mère lui a probablement dit : ‘‘Va dehors mettre ces machins là-bas.’’ Et il a essayé de trouver un moyen plus facile de porter ces choses. Donc, en procrastinant, il a inventé la roue ! » Perry ajoute : « La procrastination a donc été l’un des moteurs principaux du progrès humain. »

Le 25 mars 2010, les Éditions Anabet, à Paris, lançaient la première Journée mondiale de la procrastination. David d’Équainville, leur fondateur, décrit le fait de procrastiner comme « une défense immunitaire face à une société extrêmement rude, un moyen positif de se défendre des assauts du monde contemporain ». Pour Marie My Lien Rebetez, cette manière de voir est intéressante, car elle pourrait expliquer une tendance générale accrue à la procrastination dans nos sociétés.

Flou artistique

Si, chez certains auteurs, la procrastination se voit attribuer des lettres de noblesse, elle continue à être perçue globalement de façon plutôt négative. Les avis divergents à son sujet reflètent en outre la mosaïque de définitions dont le concept même de procrastination est affublé. « Il y a presque autant de définitions de la procrastination que de chercheurs dans le domaine. La notion de ‘‘report’’ apparaît toutefois commune aux différentes définitions », indique Marie My Lien Rebetez.