Qui était Dick Fisch ? Comment l'avez-vous rencontré ?
D’abord, laissez-moi dire à quel point la mort de Dick Fisch m’a touché. Je garde l’image d’un vieux maître zen, bon enfant et tranchant à la fois, dépourvu d’ego, constamment affublé d’une vieille paire de jeans et de sa casquette de pilote (il avait passé son brevet de pilote sur le tard et adorait emmener ses amis survoler Palo Alto, ou saluer son amie Lucy Gill près du parc de Yosemite).
La première fois que je l’ai rencontré, c’était en 1983, au MRI (Mental Research Institute) de Palo Alto, où je suivais le programme de formation résidentiel. Il dirigeait le « Centre de thérapie brève » (CTB) auquel participaient, à l’époque, Paul Watzlawick, John Weakland, Lynn Segal et Lucy Gill. Psychiatre, originaire de New York, Dick Fisch était un homme simple, plein d’humour (il n’aimait pas trop qu’on l’appelle Richard : « ça me rappelle ma mère…! »), aux idées de gauche très affirmées (il a très mal vécu la période des Bush, le père et surtout W., le fils). C’était le gardien du « modèle », le défenseur acharné de la non-normativité, opposé à toute pathologisation. Il n’aimait pas la théorie et raillait parfois les analyses systémiques de Paul Watzlawick : il trouvait, par exemple, que les références à la « théorie des types logiques » et aux paradoxes - qu’il prononçait « pair o’ ducks » (paire de canards) - desservaient la pratique. C’était un clinicien patient et incisif et un superviseur décapant. J’ai eu la chance de pouvoir bénéficier de son expérience pendant les années qui ont suivi, et c’est lui qui m’a ouvert les portes du CTB lorsque je suis retourné vivre à Palo Alto pendant 3 ans.
Vous avez pendant plusieurs années sillonné les routes de France avec lui. Dans quel cadre ce voyage a-t-il eu lieu ?
Il y en eut de nombreux. Comme l’IGB (Institut Gregory Bateson) était devenu le représentant du MRI pour l’Europe francophone, nous invitions Dick chaque année dans le cadre des formations que nous organisions en Belgique et en France. Il aimait beaucoup voyager en voiture et nous descendions de Liège à Paris, Lyon, Aix-en-Provence, Toulouse, Nantes… un vrai tour de France. Il adorait les vieilles pierres, et je me souviens encore de son émerveillement lorsque nous avons fait étape à Carcassonne et qu’il a découvert le lit à baldaquin dans lequel il dormirait… Je lui avais expliqué l’origine du mot Languedoc et, face au réceptionniste qui lui demandait si la chambre lui convenait, il avait bien sûr testé ses nouvelles connaissances en répondant « oc ! » Il aimait beaucoup la France, connaissait par cœur les paroles de la Marseillaise et appréciait le bon vin : « Alors, Dick, quel vin te ferait plaisir ce soir ? - Oh, je ne suis pas difficile, n’importe quel Nuits-Saint-Georges ’49 fera l’affaire ».