Jean-Pascal Assailly : Pourquoi aimons-nous prendre des risques ?

Jean-Pascal Assailly, psychologue de formation, travaille comme chercheur à l’INRET (institut national de recherches sur les transports et leur sécurité). Il est déjà l’auteur de plusieurs ouvrages sur la prise de risque, notamment chez les jeunes. Avec pour objectif de rassembler les connaissances actuelles, il a publié, dans la collection Sciences du risque et du danger de Lavoisier, un manuel de référence intitulé : La Psychologie du risque (2010).

Comment abordez-vous la prise de risques dans cet ouvrage ?

Etant donné que je suis dans la recherche appliquée, mon approche est transdisciplinaire. Un psychologue scientifique ne peut pas se permettre aujourd’hui d’ignorer ce que la boutique d’à côté produit sur le même sujet ! Pour construire ce livre, j’ai donc raisonné de manière très pragmatique en me demandant ce qui détermine la relation de chacun de nous au risque. Il y a tout d’abord ce qui se passe dans notre tête : c’est la partie « étude des mécanismes du psychisme ». On est ici purement dans la psychologie avec toutes ses branches : clinique, sociale, cognitive, développementale… Ensuite, je me suis dit que la neurobiologie avait également un intérêt. Quand par exemple on étudie les accidents de la route dus à l’alcool, il faut se demander pourquoi les gens boivent. Or, dans la littérature sur l’alcoologie et l’addictologie, les psychiatres évoquent les mécanismes neurobiologiques de la dépendance, le fonctionnement de la dopamine, les aires cérébrales, etc… Pour expliquer la prise de risque, il est donc nécessaire de comprendre et vulgariser les travaux de nos amis neurobiologistes. Et dans un troisième temps, j’ai voulu montrer que les individus qui prennent des risques ne vivent pas sur une île déserte. Depuis notre naissance, notre environnement social nous pousse à prendre des risques, ou au contraire nous en dissuade. On passe ici en revue les grands classiques : la famille, les médias, les amis… Il s’agit de la perspective contextuelle, sociale.

Qu’est-ce que prendre un risque ?

Chacun de nous se trouve devant une balance à deux fléaux : celui des bénéfices et celui des coûts. Quand on prend un risque, on sait très bien quelles peuvent être les conséquences négatives (mourir, se faire très mal, perdre de l’argent, avoir des ennuis sociaux…), mais on le fait quand même car les avantages nous apparaissent supérieurs aux éventuels coûts. Dans ce livre, j’essaie de montrer quels sont les bénéfices psychologiques des comportements dangereux. Ils ont une fonction, ils aident le sujet à vivre, à lutter contre la dépression ou l’anxiété par exemple. La prise de risque nous permet de nous adapter à nos problèmes psychologiques, même si par moments c’est contre-productif car on finit par subir des conséquences négatives.

On a longtemps considéré que la prise de risque était purement rationnelle. A l’heure actuelle, on tient de plus en plus compte du rôle des émotions…

La littérature est très psycho-cognitive jusqu’au milieu du 20ème siècle, voire plus récemment encore. Elle concerne les paris financiers, et beaucoup d’économistes y contribuent : on s’interroge par exemple sur les raisons qui amènent un entrepreneur ou un joueur de casino à prendre des risques. Les modèles mathématiques des gains et des pertes illustrent ce courant. Aujourd’hui, on assiste à une évolution. Bien sûr la prise de risque comprend une évaluation cognitive, mais les émotions influencent fortement nos décisions. Prenons la peur. Parfois elle est bonne conseillère, elle nous évite de prendre trop de risques et nous ne serions plus là sans elle. Heureusement par exemple que les enfants craignent de mettre les doigts dans le feu ! De même, un animal survit car la peur l’amène à éviter les prédateurs. Mais l’effet inverse peut aussi être observé quand nous paniquons. Dans ce cas, nous prenons des décisions totalement irrationnelles car notre raisonnement est brouillé par la peur.