Actuellement, une distinction juridique sépare le migrant économique du réfugié politique en Europe. En quoi, selon vous, cette distinction est-elle problématique dans la gestion des migrants ?
Cette distinction apparaît comme évidente, mais en réalité elle ne va pas de soi. Elle résulte d'une opération de catégorisation des migrants, parmi d'autres possibles, selon une logique administrative : en effet, elle permet de distinguer des ayants droit (accédant au statut de réfugié) d'autres personnes qui ne peuvent pas prétendre à de tels droits. Cette bipartition, pourtant, est difficile à appliquer dans de nombreux cas concrets. C'est pour cela que la Commission européenne a récemment décidé d'installer des « hot spots» aux frontières de l'Europe (Sicile, Lampedusa, Pirée...), afin de procéder à un tri entre ces deux types de migrants. Si des cas ambigus apparaissent, c'est parce que cette distinction ne peut être établie qu'en forçant la réalité. Sous l'étiquette de « réfugiés », on range des types de personnes très différentes.
Mais qui met-on précisément dans la catégorie « réfugiés » ?
À l'origine, la figure du réfugié est celle du militant persécuté en raison de son combat pour la liberté. C'est ainsi qu'il apparaît dans la Constitution de 1793, puis dans celle de 1946. C'est au titre d'un tel engagement qu'il obtient le droit d'asile. Mais on a mis par la suite, sous l'étiquette de « réfugié », des victimes « passives », ne manifestant aucun engagement : victimes de génocides ou apatrides chassés de leur État, comme les titulaires du « passeport Nansen » mis en place en 1922 par la Société des nations (Russes fuyant la révolution d'octobre, Arméniens fuyant le génocide, Juifs fuyant l'Allemagne nazie...), et, plus tard, les Tutsis et autres groupes humains voulant échapper aux persécutions. Enfin, on a placé dans la catégorie de réfugiés des personnes qui ne sont pas spécifiquement persécutées, mais déplacées à cause de catastrophes naturelles (réfugiés climatiques), ou de situations de guerre ou encore de chaos politique. On voit bien que le réfugié résulte de l'agrégation de différentes logiques.