Karen Sadlier : « La violence conjugale, une maltraitance pour l'enfant »

Quand un homme frappe sa compagne, la souffrance de l'enfant impuissant est souvent négligée. Pourtant, elle est bien réelle. Quelles peuvent être ses conséquences ? Comment agir ? Nous avons rencontré Karen Sadlier, Directrice du département Enfant de l’Institut de victimologie, à Paris, et qui a dirigé L’Enfant face à la violence dans le couple (Dunod, 2010).

On parle assez souvent des enfants victimes de violence familiale, mais pas de ceux qui en sont les « simples » témoins. Pourquoi cette différence de traitement ?

Pour plusieurs raisons. D’abord, parce que la lumière a longtemps été portée sur les violences faites aux femmes, avant qu’on s’aperçoive que les enfants eux-mêmes en concevaient une souffrance. Ensuite, les professionnels de la protection de l’enfance sont déjà submergés par les problèmes de violence directe sur l’enfant, et négligent cette forme indirecte que constitue le spectacle de la violence entre leurs parents. Enfin, on différencie violence conjugale et maltraitance de l’enfant, avec l’idée qu’on peut être un bon père même si on est un mari ou un compagnon violent. Pourtant, au Canada ou aux Etats-Unis par exemple, des études montrent que les enfants témoins de violence conjugale sont en souffrance et qu’il s’agit bien d’une maltraitance en soi. Celle-ci est psychologique pour la moitié des enfants, mais aussi physique pour l’autre moitié, car parmi les enfants dont la mère est victime de violence conjugale, un sur deux est également victime de coups par son père ou le compagnon de sa mère.

Sans doute le phénomène est–il d’autant plus méconnu que les enfants eux-mêmes en parlent peu spontanément ?

Ils en parlent d’autant moins que, comme pour toute violence familiale, s’impose la loi du silence. Et qu’à chaque réconciliation apparaît l’idée que la situation est peut-être enfin réglée. En outre, quand les enfants se risquent à évoquer le sujet, ils peuvent s’entendre dire par un adulte que ça ne les regarde pas. On pense ainsi les protéger, mais c’est faux : il faut les laisser s’exprimer.

A quel âge l’enfant est-il le plus vulnérable ?

Dans 40 % des cas environ, la violence conjugale démarre dès la grossesse ou aussitôt après la naissance. On observe déjà des réactions d’agressivité ou de peur exagérées chez les bébés concernés, dès 8 ou 9 mois. Cela peut être lié à des changements neurologiques, les aires spécialisées du cerveau semblant plus sensibles à des indicateurs de menace. Les enfants sont donc affectés très tôt. L’adolescent, lui, a souvent des années de violence derrière lui : la manifestation de la souffrance sera donc différente.