Le phénomène djihadiste a durement touché la France en janvier dernier. D’autres attentats ont été préparés et de plus en plus de jeunes s’engagent dans des conflits qui ne sont a priori pas les leurs. Devant l’ampleur du phénomène, la réponse sécuritaire est loin d’être la seule que l’on oppose à cette violence sociétale, familiale, individuelle, dont le fondement religieux semble même contesté. L’État sort de ses domaines régaliens pour développer une prise en charge psychologique des personnes ciblées par le djihadisme. C’est nouveau et les résultats sont déjà là, tandis que les cellules de désembrigadement se multiplient en lien avec les préfectures, que les centres de soins et les associations lancent des initiatives dans le même sens. Psychologues, psychiatres, ethnopsychiatres se mettent à l’écoute de ces jeunes. Face aux kalachnikovs, le dialogue, l’empathie, pourraient bien être des solutions… non violentes.
Quand tout bascule…
Timothée, un beau garçon sans histoire. Jusqu’à ses 22 ans :… « Il était étudiant en STAPS, avait un petit job, des amis, une petite copine et il était toujours adorable avec nous. C’était un doux », décrit sa maman Marie, publicitaire en région parisienne et de culture chrétienne, comme Georges, son mari. « Il avait une soif de vérité, il cherchait depuis un moment du côté des différentes religions et nous a annoncé un beau jour avec émotion et fierté qu’il était devenu musulman. Nous l’avons bien accueilli, même si cela nous a surpris. Il était très ouvert au dialogue, jamais accusateur avec nous. La suite, nous ne l’avons pas vu venir. Il est parti en octobre 2014 en Syrie et nous ne l’avons pas revu depuis. » Son seul message : « Je suis parti aider les gens. »
Le cas n’est pas isolé : 1 850 Français seraient impliqués dans les filières djihadistes (vingt fois plus qu’en 2013 !) et près de 500 sont sur le terrain en Syrie ou en Irak, dont plus de 150 femmes, d’après les chiffres de juillet 2015. Beaucoup sont mineurs ou ont moins de 21 ans. Des jeunes « sans pères ni repères », marginalisés comme les frères Kouachi ? Souvent, mais l’anthropologue Dounia Bouzar, fondatrice du Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’Islam (CPDSI), a vu récemment émerger une autre réalité au contact des 400 familles qui ont fait appel au centre l’an dernier. « Les parents qui appelaient étaient plutôt issus des classes moyennes et supérieures : des professeurs, des éducateurs, des artistes, des fonctionnaires, des avocats, des médecins… » décrit-elle dans son essai Comment Sortir de l’emprise djihadiste (Éditions de l’Atelier, 2015). Exactement comme dans le cas de Timothée, même si celui-ci est plus âgé que la moyenne et que la rupture n’a pas été si violente avec son milieu social. 40 % des familles se disaient aussi athées, 40 % catholiques, 19 % musulmanes et 1 % juives. Alors que peut-il se passer dans la tête de ces jeunes aux profils multiples pour basculer ainsi ? Une tragique quête de sens ? La psychologue Simone Soulas, membre du Centre contre les manipulations mentales (CCMM) qui suit les familles touchées par le phénomène, se demande si nous ne payons pas 50 ans de consumérisme. Mais cela n’explique pas tout non plus.