C’est un paradoxe, mais l’Analyse transactionnelle est une théorie de la communication qui se trouve à la source de bien des malentendus. Son origine même ne paraît pas si claire que le veut « la légende », pour reprendre le terme de Laurie Hawkes, auteure avec France Brécard du Grand livre de l’Analyse transactionnelle (Eyrolles, 7e éd., 2015). La légende, c’est que le psychiatre Éric Berne, refusé comme psychanalyste en 1956, a décidé de fonder sa propre approche, volontairement plus accessible que sa vénérable aînée. Variante : il a refusé de devenir psychanalyste, nuance. En réalité, précise Laurie Hawkes, il aurait esquissé ses théories dès son cursus analytique… et, malgré son refus comme psychanalyste, aurait développé l’Analyse transactionnelle non comme alternative à l’analyse freudienne, mais comme prélude : après tout, le cadre thérapeutique d’Éric Berne, pour une prise en charge individuelle, n’était autre que celui de la cure type, avec le patient allongé sur un divan et le thérapeute assis près de là, hors de vue.
Un autre malentendu veut que l’Analyse transactionnelle, à défaut de renier la psychanalyse, en reprendrait certains fondamentaux, mais en les simplifiant : selon Éric Berne, nous fluctuons ainsi en permanence entre différents États du Moi, les fameux Parent, Adulte et Enfant. Adulte, je suis dans l’ici et maintenant, rationnel, lucide, efficace, avec une capacité de recul immédiat. Parent, je suis tributaire du passé, je me comporte comme les figures d’autorité qui m’ont marqué. Enfant, je bascule dans un registre plus égocentré. Autant de versions simplifiées du Moi, du Surmoi et du Ça théorisés par Freud ? « Oui, sinon ce serait un trop grand hasard… », reconnaît Laurie Hawkes. Mais pas tout à fait. « Éric Berne disait, par exemple, que l’état du Moi ‘‘Parent’’ avait un nom et une adresse, et pas le Surmoi. C’est mignon, mais un petit peu réducteur ! En réalité, on peut parvenir à retrouver l’origine de nos États dans des personnes réelles, alors que les instances freudiennes sont plus désincarnées. » L’Analyse transactionnelle peut se faire aussi labyrinthique que la psychanalyse dont on la croit une simplification. Et en voici la preuve…
Quand un État rencontre un autre État…
Lorsque deux humains échangent, avec leurs fluctuants états du Moi respectifs, que se passe-t-il ? Une transaction ! Toutes marquées par l’inextinguible soif humaine de strokes, terme intraduisible désignant les signes de reconnaissance au sens large, ceux qui attestent de notre prise en compte par autrui, de notre existence sociale. Selon le modèle dit « fonctionnel », décrivant les États du Moi au cours de nos relations sociales, ceux-ci se déploient donc selon diverses facettes au gré des transactions. Le Parent peut ainsi osciller entre deux pôles, Normatif (« Tu ne vas jamais y arriver ! ») ou Nourricier (« Attends, je vais t’aider. »), chacun pouvant s’activer sur un mode positif (« Bravo, tu vas y arriver ! ») ou négatif (« C’est bien mais je vais le faire à ta place, ça ira plus vite. ») Notre enfant peut, quant à lui, se montrer libre (tout à fait spontané) ou adapté (se pliant au contexte), là encore dans différents registres : par exemple l’Enfant Adapté Rebelle est volontiers de mauvaise foi, tandis que l’Adapté Soumis s’inhibe.