L'anthropologie (alias l'ethnologie) est entrée, il y a vingt-cinq ans, dans une ère nouvelle, que l'on nomme parfois « postcoloniale », parfois « postmoderne », et en tout cas « postclassique » : les règles, les méthodes et les objectifs de la profession ont été, en quelques années, soumises à un examen critique assez aigu pour entraîner une profonde diversification des recherches, sans toutefois (du moins en France) remettre en cause l'enseignement de la discipline. Il fut donc question des « nouveaux terrains » de l'ethnologie (en général plus proches), des « nouveaux objets » (les mêmes que ceux de la sociologie), et d'autre part d'un vaste mouvement de critique textuelle, principalement développé aux Etats-Unis, qui renvoyait l'écrit anthropologique à ses présupposés culturels, et en tout cas scientistes.
Ces deux opuscules ont l'immense mérite d'aborder cette situation, et de tenter d'en rendre compte, chacun à sa manière. Marc Augé et Jean-Paul Colleyn appartiennent à la génération des chercheurs établis, mais qui ont vécu la remise en cause de l'anthropologie « primitiviste » et le rapatriement des terrains : M. Augé, en particulier, est connu pour ses travaux sur le monde moderne. Avec J.-P. Colleyn, il donne ici une réflexion au fil de la plume sur les objets et les méthodes d'une anthropologie du « monde contemporain » : dépouillée des schèmes comparatifs classiques, centrée sur des objets sociaux ou symboliques, portée à l'observation directe et à l'expérience vécue, mais ayant tourné le dos aux vertiges de l'autocritique.
Laurent Berger, jeune chercheur, fait une oeuvre plus pédagogique et produit une revue détaillée des auteurs qui - en Europe comme en Amérique - marquent, depuis 1970, ce mouvement de renouvellement de l'ethnologie : au-delà des crises épistémologiques, il montre que les « nouvelles ethnologies » ne mènent pas à une liquidation de la discipline, mais plutôt à l'élaboration d'un discours anthropologique commun à la sociologie, à l'histoire et à l'ethnologie. Très utile à l'étudiant, ce manuel très dense devrait être suivi d'un second consacré aux oeuvres.
Alexis Lavis
Philosophe, sanskritiste et sinologue, auteur notamment de Paroles de sages chinois, Seuil, 2013 ; L’Espace de la pensée chinoise. Confucianisme, taoïsme, bouddhisme, Oxus, 2010 ; il a dirigé, avec Fabrice Midal, 50 fiches pour comprendre le bouddhisme, Bréal, 2011. Dernier ouvrage paru : La Conscience à l’épreuve de l’Éveil. Lecture, traduction, commentaire du Bodhicaryâvatâra de Shântideva, Cerf, 2018.