L'argent, un tabou français

Pour des raisons spirituelles, historiques, sociales, il reste difficile d’en parler sereinement dans l’Hexagone…

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Aucun domestique ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l’Argent. » (Luc, 16.13) Si la Bible ne fait plus office d’unique référence en France, l’influence considérable exercée par l’Église catholique pendant des siècles marque encore notre rapport à l’argent, selon Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche émérite CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), qui a notamment travaillé sur le rapport à l’argent en France 1. L’Église catholique « a longtemps mis l’accent sur l’aide aux plus démunis », rappelle la chercheuse, avant de citer encore la Bible : « […] il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entre dans le Royaume des Cieux. » (Matthieu, 19.24). De nos jours, il reste relativement mal vu d’évoquer l’argent, qu’il nous parvienne à profusion ou tende obstinément à manquer.

« Une possession virtuelle du monde »

Pour le psychanalyste Patrick Avrane, auteur de Petite psychanalyse de l’argent (Puf, 2015), « l’argent est toujours du côté du péché, de ce qu’il ne faut pas montrer. » Le psychanalyste évoque également une « idéologie très présente en France » : « l’égalité absolue de tout le monde. Montrer l’argent c’est donc montrer une inégalité. » C’est, finalement, la comparaison que nous craignons : « Le propre de l’argent c’est sa liquidité, le fait qu’il permet, au niveau fantasmatique du moins, de tout acheter. En tout cas, plus on en a, plus on peut acheter de choses. L’argent, c’est donc une possession virtuelle du monde… » Ainsi, pour le psychanalyste, « ce qui est refusé, c’est que certains puissent posséder plus que d’autres ». Cependant la difficulté à parler d’argent n’est pas un phénomène exempt d’ambiguïté, comme le souligne Janine Mossuz-Lavau : « En vérité, les gens adorent en parler, parce que c’est important pour eux. Mais ils ne veulent pas parler de leur argent à eux : leur salaire, leur patrimoine… C’est là qu’il y a une gêne. »