L'art de la consolation

Sénèque, Cicéron, Boèce étaient des maîtres de consolation, un genre littéraire à part entière. Notre époque endeuillée les redécouvre.

Un enfant pleure dans la rue. Il a perdu sa peluche et semble inconsolable. Sa mère cherche à capter son attention. Elle s’agenouille devant lui, lui prend les mains, raconte l’histoire d’un doudou parti en voyage. Une aventure propre à faire rêver et rire entre les larmes. Elle lui montre un autre jouet, une moto garée par là, qui retiendra peut-être l’intérêt de l’enfant, le détournant de son chagrin. Peut-être feindra-t-elle de chercher le disparu, l’appelant à voix haute, jouant de sa disparition. Elle séchera les yeux de son fils pour lui permettre de voir plus loin, ou entreprendra une activité avec lui pour le remettre dans l’élan de la vie. Qu’est-ce donc que cette pratique, à la fois si délicate et si puissante, de la consolation ? Comment trouver les bons mots, les bons gestes face à celle ou celui que le malheur vient frapper ?

La philosophie a longtemps porté haut son expertise sur cette question. De Platon à Augustin, en passant par Sénèque, Cicéron ou encore Boèce, ces penseurs considéraient que la connaissance avait le pouvoir sinon de rendre heureux, du moins d’apporter un peu de baume face aux âpretés de l’existence. Se référant à un ordre métaphysique jugé plus stable que le monde des vivants, des textes entiers se sont donné pour rôle d’apaiser les humains, le plus célèbre étant sans doute La Consolation de Boèce, où la déesse Philosophia vient parler à un homme injustement condamné à mort.

Rationalisme ou insensibilité ?

Or ce savoir s’est progressivement perdu. À partir de Descartes, la philosophie, s’imprégnant du modèle des sciences, a troqué son souci de consolation contre l’exigence de connaissance lucide et rationnelle. « Ni rire, ni pleurer, ni haïr, prétendait Spinoza, seulement connaître. » Nous sommes encore dans ce paradigme, estime le philosophe Michaël Fœssel, qui considère qu’il est temps d’amender un peu ce rationalisme moderne (Le Temps de la consolation, 2015). Car le malheur rentre mal dans des cases trop rationnelles. Le désir de maîtrise se paie parfois d’une insensibilité aux peines d’autrui. Et la volonté de comprendre se heurte à la déraison des blessés.

Relisant les philosophes antiques, quelques penseurs contemporains (voir ci-dessous) s’attachent ainsi à redonner une dignité à la consolation, cette notion désormais abandonnée aux religions et à la psychologie. Car le besoin de réconfort mérite qu’on s’y arrête collectivement. Il est consubstantiel à l’humanité ; et il se manifeste à tous les niveaux de la vie sociale. Au quotidien, face aux tristesses ordinaires. Plus exceptionnellement, quand une catastrophe vient nous frapper au cœur de la cité. Il relève de l’intime, lorsque nous sommes confrontés au malheur d’un ami. Mais il nous rappelle aussi nos appartenances sociales et politiques, lorsque nous voyons sombrer nos espérances collectives. Dans tous les cas, c’est la perte, plus que la souffrance, qui génère le besoin de consolation : perte d’un être cher, perte d’un amour, perte de la santé, perte d’un idéal politique… Partout, l’enjeu est le même : quelle place faire au manque quand nous devons continuer à vivre ?