L'avenir de la guerre : entre la bombe humaine et le drone

Peut-on espérer pour demain un monde sans guerre ? Sans doute pas, tant la guerre reste une donnée constante de l’histoire humaine. Mais ici et ailleurs, elle devrait prendre de nouveaux visages…

Douze ans après le début de ce siècle, sommes-nous bien placés pour en deviner la suite en ce qui concerne la guerre ? L’exemple du siècle précédent n’est pas encourageant. Certes, en 1912, les nationalismes montaient, certains états-majors préparaient la guerre, et quelques auteurs prédisaient qu’elle serait funeste pour les vainqueurs comme pour les vaincus. Mais personne n’aurait pu prévoir les deux guerres mondiales, les totalitarismes, l’ère nucléaire, la guerre froide et sa fin, tandis qu’ailleurs guerres et révolutions continuaient de plus belle et entraînaient de nouveaux dangers : une grande puissance montante (la Chine) et un problème permanent, la prolifération nucléaire, se combinant avec une évolution économique, sociale et démographique génératrice de violence potentielle.

Pour prévoir l’avenir de la guerre, nous sommes à la fois mieux et plus mal placés qu’il y a un siècle. L’accélération des révolutions scientifiques et techniques et de leurs conséquences militaires, ainsi que celle de la globalisation économique, nous rend plus conscients de la difficulté de prévoir. Cependant, certains éléments nouveaux sont bien engagés depuis la fin du 20e siècle et nous permettent au moins d’identifier un certain nombre de changements décisifs.

Tout d’abord, le pouvoir souvent déclinant des États est remplacé moins par des institutions supranationales, ou par une « communauté internationale » mythique, que par des réseaux et des solidarités souvent sub- ou transétatiques, qui sont loin cependant de représenter un point de vue universel. De même, l’interaction stratégique et diplomatique des États est fortement influencée par l’interdépendance de leurs intérêts et par l’interpénétration de leurs sociétés, mais il s’agit là de facteurs de conflit autant que de coopération, surtout quand ils se combinent avec l’hétérogénéité des cultures et des situations. Nous sommes à une époque de déstructuration permanente et de restructurations successives, partielles et provisoires.

Il nous faut donc relativiser sinon rejeter les théories unilatérales et catégoriques sonnant le tocsin de « l’ensauvagement » du monde au 21e siècle 1 ou, au contraire, s’efforçant de démontrer le déclin de la violence dans l’histoire 2. L’existence même des horreurs récentes montre bien l’importance des résistances au processus de civilisation cher à Norbert Elias. L’expérience du terrorisme apocalyptique nous enseigne également qu’il existe encore ou à nouveau des antagonismes absolus.

publicité

Des guerres qui ne disent pas leur nom

La tendance des sociétés développées, industrielles et libérales, est d’accorder une place moins centrale à la guerre et à l’armée. À partir du moment où il ne s’agit plus principalement de défendre le territoire national contre une invasion militaire, le rôle de l’armée est moins évident. La dissuasion nucléaire est la posture idéale pour une société civile qui fait confiance à un équilibre fondé sur un mécanisme que, surtout en France, elle a tendance à considérer comme automatiquement assuré, et qui n’exige pas l’engagement ou le sacrifice personnel du citoyen. Après la fin de la guerre froide, de la défense du territoire et du service national dans la plupart des pays occidentaux, le lien entre armée et société s’est rompu.

Restent, d’une part, les guerres civiles ou d’indépendance liées à la fin des empires coloniaux et d’autre part les interventions extérieures déclenchées le plus souvent dans le cadre d’une alliance comme l’Otan ou du Conseil de Sécurité de l’Onu. La Charte de l’Onu réserve ainsi à ce dernier le monopole de la violence légitime (jadis apanage de l’État moderne), sauf en cas de légitime défense, et encore provisoirement.

Les guerres « post-coloniales » des pays développés, même victorieuses sur le plan militaire, aboutissent à des défaites sur le plan politique, et souvent au sentiment chez les militaires d’être lâchés par l’arrière, d’où un autre fossé entre armée et société. Les guerres se nomment « interventions humanitaires » au nom du « droit d’ingérence » ou de la « responsabilité de protéger », mais aussi « opérations de stabilisation ou de pacification ». Délégitimée, la guerre n’ose plus dire son nom : les Américains parlent d’opérations autres que la guerre (operations other than war) et de conflits de « basse intensité ».