Tout commence à Strasbourg, au début du siècle, par la rencontre de deux historiens, Lucien Febvre (1878-1956) et Marc Bloch (1886-1944). Les deux hommes se reconnaissent intellectuellement dans l’effervescence culturelle qui agite le monde des sciences humaines. Depuis quelques années déjà, la sociologie durkheimienne domine les sciences sociales. De son côté, l’histoire positiviste et nationale subit de violentes critiques. Contre l’historien Charles Seignobos, le sociologue François Simiand dénonce les trois idoles de l’histoire traditionnelle : l’idole politique, l’idole individuelle et l’idole chronologique. Ce débat épistémologique qui révèle la crise de la discipline historique marque profondément les deux hommes. Ensemble, L. Febvre et M. Bloch participent à la Revue de synthèse historique, fondée par Henri Berr en 1900. Dans l’esprit de la géographie de Paul Vidal de La Blache, cette revue défend le projet de fédérer les sciences humaines. L’histoire ne peut plus se faire sans le soutien des nouvelles disciplines telles que la sociologie, la psychologie ou la géographie. Dans les années 1920, ce projet et l’adhésion de chercheurs comme Maurice Halbwachs ou Charles Blondel créent une atmosphère interdisciplinaire très féconde à l’université de Strasbourg. Un courant est en train de naître.
De l’histoire globale…
Mais le véritable acte de naissance des Annales a lieu quelques années plus tard, en 1929, lorsque Lucien Febvre et Marc Bloch décident de créer leur propre revue, Annales d’histoire économique et sociale. Les deux historiens défendent un nouveau projet historique qui va bouleverser la discipline. Leurs recherches rompent avec l’histoire traditionnelle. Alors que cette dernière s’intéressait aux guerres, aux batailles, aux grands hommes et à la glorification de la nation, les penseurs des Annales veulent étudier l’histoire des sociétés. Désormais, les questions économiques, démographiques et sociales sont au cœur des recherches historiographiques. Les historiens étudient la manière dont les individus vivaient, travaillaient et mouraient à leur époque. Mais aussi les croyances, les représentations et les mœurs. L’étude des mentalités, développée par Marc Bloch dans Les Rois thaumaturges (1924), va ainsi prendre une ampleur sans précédent. Mais ce projet d’une histoire sociale ne pouvait se faire sans l’apport des autres sciences sociales. Les deux historiens vont donc chercher à réaliser une « histoire globale » couvrant tous les aspects – sociologiques, économiques et démographiques – d’une même époque. C’est ce projet qui va donner son orientation aux penseurs des Annales.