> Carole Ligniez
Diététicienne-nutritionniste, elle anime des ateliers et intervient dans diverses structures. Elle est également formatrice en alimentation et en troubles alimentaires de l’enfant, et auteure d’Éducation alimentaire : 21 ateliers d’éveil au goût et aux 5 sens (Dunod, 2019).
Dans votre livre sur l’éducation alimentaire, vous insistez sur l’importance d’investir du temps dans la création du lien que l’enfant tisse avec les aliments…
Tout à fait. Cela passe par des choses simples qui auront cependant une grande répercussion, comme sentir, respirer les aliments avec l’enfant ! Certains peuvent être étonnés que l’on parle d’« éducation » quand il s’agit d’aborder le fait de manger. Or, on aura plus de mal à initier une culture du goût et du plaisir à manger si on ne se « pose » pas un minimum avec nos petits, s’il n’y a pas de moments de partage... Tandis que les saveurs sucrées attirent naturellement le petit mammifère, les saveurs amères, notamment présentes dans les légumes, nécessitent un apprentissage. D’autant que nous ne sommes pas tous également sensibles à l’amertume. C’est pourquoi l’enfant a besoin d’être guidés dans sa découverte de l’alimentation : il apprend beaucoup par imitation. Sa sensorialité ne demande aussi qu’à être « affûtée ». Jean-Pierre Poulain, chercheur en sociologie alimentaire et du corps, rappelle que « l’apprentissage de la nutrition ne suffit pas pour avoir une bonne alimentation, il faut aussi acquérir les goûts et le plaisir de manger ». Il est essentiel que la tribu qui entoure le tout-petit prenne le temps de lui faire regarder un fruit ou légume en entier, de lui faire toucher mais aussi sentir, car la mémoire olfactive est bien plus puissante que la mémoire visuelle. Il ne faut pas hésiter, par exemple, à faire sentir un champignon cru à l’enfant avant de le couper et le cuisiner, parce qu’il sent la terre… et qu’il vient de la terre. Quoi de mieux que de le ressentir ? A une autre époque, les enfants se trouvaient davantage en contact avec la nature et le lien terre-aliment était plus visible et évident. L’ambiance du repas est tout aussi capitale, car le jugement affectif sur un aliment (« Je n’aime pas les champignons ! ») repose en grande partie sur le contexte. Plus le climat est convivial, en tout cas pas désagréable (car on ne peut « être en fête » à chaque repas), meilleures sont les chances pour l’enfant de tisser un lien positif avec les aliments consommés à ce repas. Certains dégoûts liés à un contexte négatif (gastro-entérite, dispute à table…) seront plus persistants… ou ne passeront peut-être jamais.