L'enfant difficile à l'école, ou le mammouth impuissant

On ne peut pas renier ses enfants, pas plus que ses élèves. Pensum pour les parents, cauchemar des enseignants, l’enfant difficile pose une sacrée colle aux adultes responsables de son éducation.

Il n’est qu’à écouter les plaintes de parents démunis face à l’opposition, la provocation, l’agressivité de leur progéniture pour comprendre que l’enfant difficile n’est pas une vue de l’esprit. Et ce qui se supporte plus ou moins douloureusement en famille, au nom de l’amour, devient un vrai problème quand il s’agit d’envisager l’avenir de ses rejetons comme pour l’institution scolaire qui s’arrache les cheveux. En première ligne, des professeurs abasourdis par des enfants dont ils ne comprennent pas les ressorts, souvent pas plus que leurs propres parents d’ailleurs, comme en témoigne Clara, maman d’un petit Noam de 8 ans : « Je ne peux pas démissionner de mon rôle de maman même si parfois j’ai envie d’être six pieds sous terre tellement mon fils est dur. Il faut bien que je m’en occupe. J’ai envie de bien faire, j’essaie toutes les méthodes mais je suis en échec permanent. Encore, à la maison, j’en prends mon parti mais avec l’école, c’est terrible. À chaque fois que sa maîtresse me convoque, c’est pour me dire qu’Elliot est infernal, qu’il n’écoute rien, qu’elle ne sait plus quoi faire. Mais je ne sais pas non plus. »

L’école, terrain de jeu favori des caïds

Qui n’a jamais mis les pieds dans une classe – une vraie, pas celle que nous montre le journal télévisé à chaque rentrée, où les enfants sont tous sages, attentifs et motivés pour apprendre – peut difficilement prendre la mesure de ce qu’y est le quotidien. Et les enseignants ont bien du mal à se faire entendre d’une opinion publique qui part du principe que le plus beau métier du monde offre sur un plateau, comme dans les années 1950, des horaires allégés, des vacances à foison et un statut de « maître » bien agréable pour l’ego. La réalité est toute autre.

Des profs usés, déprimés, voire désespérés de ne pas pouvoir faire leur boulot d’enseignant parce qu’ils ont l’impression de se transformer petit à petit en gardiens de la paix désarmés, il y en a plein les cours de récré. D’ailleurs, sous bien des préaux, oubliés les marelles et les jeux de billes, place à la terreur que sèment les caïds en culottes courtes. Hervé, enseignant remplaçant en CM2 dans une école « classée violence », décrit des scènes de liesse dans une cour surchauffée qui compte 128 élèves pour deux profs qui surveillent : « Avant d’être jeté dans la fosse aux lions, je n’aurais jamais imaginé que des mômes de cet âge puissent faire régner la terreur. L’élève le plus difficile à gérer dans cette école a six ans ! C’est dire. À chaque récré, je prie pour qu’il n’y ait pas de blessés. Aussi incroyable que ça puisse paraître, on en est là. » Que dire encore de la désespérance d’Alizée, professeur des écoles depuis cinq ans qui a souvent cette « peur au ventre », ce sentiment qu’elle doit « affronter » les élèves, ou du ras-le-bol de Rose, professeur de lettres depuis quinze ans qui se dit « épuisée par les luttes contre les élèves » dans Souffrir d’enseigner… Fait-il rester ou partir ? (MeMograMes, 2013) de Rémi Boyer, ancien prof de collège et lycée dévoué à la reconversion enseignante…