L'œuvre de Kenneth Galbraith, économiste américain aussi prolixe qu'éclectique, a traversé toute l'histoire du XXe siècle. Cette exceptionnelle longévité a fourni le sujet d'un colloque tenu en 2004. Il est à l'origine de cet ouvrage collectif. Lorsque l'économie académique négligeait la grande entreprise, K. Galbraith rappelait l'omniprésence de son pouvoir face au marché. Quand on louait l'initiative privée, il proclamait la supériorité d'une intelligence organisée réunissant les talents autour d'un objectif commun. A ceux qui proclamaient le triomphe du consommateur souverain, il opposait sa soumission. K. Galbraith n'avait donc aucune hésitation à combattre les idées largement admises. Il pouvait observer aux Etats-Unis, à son époque, un capitalisme dans lequel de grandes firmes dirigées par des managers salariés contrôlaient l'économie. Planifiant les prix, les quantités offertes et demandées, cette technostructure dominait le marché, laissant aux petites entreprises dépendantes de ses prix le soin d'assurer le développement d'activités marginales dans la création de richesses. Que reste-t-il aujourd'hui de ce modèle, après l'émergence de la nouvelle économie des années 1980 et la croisade néolibérale pour le marché et la libre concurrence ? La suprématie retrouvée des actionnaires individuels a bien été annoncée, avec la dérégulation et la gouvernance financière des entreprises, censées limiter l'action des gestionnaires. On a annoncé le retour sur le devant de la scène de la petite entreprise, avec son héros légendaire, le propriétaire-gestionnaire. Mais si certains d'entre eux ont chevauché avec succès la vague des nouvelles technologies, beaucoup se contentent d'absorber les surnuméraires, d'amortir les chocs conjoncturels et de sous-traiter pour de grandes firmes toujours présentes. Il reste à espérer, tel K. Galbraith, que les Etats et les citoyens parviennent à secouer le joug inquiétant et pesant de cette technostructure. Telle est la leçon de cet itinéraire dans l'œuvre d'un des plus célèbres économistes de ce siècle.
Robert Vallerand
Robert Vallerand est professeur de psychologie à l’université du Québec à Montréal. Titulaire de plusieurs distinctions prestigieuses, il a notamment présidé la Société québécoise pour la recherche en psychologie, la Société canadienne de psychologie et l’Association internationale de psychologie positive (IPPA). Il a publié 12 ouvrages et plus de 450 articles scientifiques, dont Les Fondements de la psychologie sociale (3e éd., Chenelière éducation, 2021), Passion for Work. Theory, reseach, and applications (dir., Oxford University Press, 2019) ou The Psychology of Passion. A Dualistic model (Oxford University Press, 2015).