L'«esprit de corps». Sexe et mort dans la formation des internes en médecine

Emmanuelle Godeau, 2007, MSH, 300 p., 19 €
Élite des futurs médecins, les internes des hôpitaux cultivent (ou peut-être « cultivaient ») une tradition expressive et rituelle dont l’auteure – pour être elle-même médecin – a constaté de visu les excès légendaires. Colligeant avec minutie les aspects de cette culture provocatrice, passablement macabre et obscène, elle en détaille les lieux (salles de garde) ainsi que les rites marquant les étapes d’une vie d’interne (baptême, enterrement), les institutions (économat), les loisirs ordinaires (soirées) et extraordinaires (revues). Auparavant, cependant, l’auteure a pris soin de décrire en détail une discipline enseignée au futur médecin : la dissection de cadavres. Car tel est, au fond, l’argument : à ceux qu’étonne le contraste entre la dignité de leur profession à venir et la grossièreté insigne des carabins, E. Godeau apporte une explication. C’est à la transgression organisée qu’implique l’exploration du corps humain que répond cette tradition de subversion radicale des codes la décence. Au pesant formalisme et à la technicité des procédures hospitalières répond le ritualisme parodique des manières de salle de garde et de réfectoire. De la nudité du patient et de la manipulation de la chair inerte, la culture des internes a fait un carnaval propice à la conjuration de ce quotidien éprouvant. Un folklore au parfum faisandé, que la suppression du concours d’internat (en 2004) et la féminisation de la carrière pourraient bien mettre en péril.