Été 2011. Des émeutes agitent plusieurs villes britanniques et deux chercheurs, Antonio A. Casilli et Paola Tubaro, tentent une expérience rare : faire de la sociologie en temps réel du temps réel 1. L’idée est d’impliquer les acteurs sociaux dans une réflexion sociologique, sur les émeutes ou sur le rôle des médias sociaux dans les émeutes, en les invitant à faire des retours sur la recherche par l’intermédiaire d’un blog 2. Le succès est total. Certains lecteurs vont jusqu’à analyser les données et le modèle produits. D’autres proposent une correction du code du logiciel utilisé. L’étude, elle, paraît au lendemain des événements. Si les ordinateurs, téléphones, tablettes et autres appareils ont apporté bien des nouvelles pratiques dans nos vies, ils ont aussi, comme le montre cette expérience, métamorphosé le travail des chercheurs et, a fortiori, la façon de faire de la science.
De cette rencontre entre le numérique et les humanités – à savoir les sciences humaines et sociales, les arts et les lettres –, qui transforme à la fois la production et la diffusion des savoirs, sont nées les digital humanities 3. Ces humanités numériques, appellation souvent préférée en France à la traduction littérale d’humanités digitales, sont « issues d’une dynamique très forte en Europe et aux Etats-Unis », indique Marin Dacos, directeur du Centre pour l’édition électronique ouverte (Cleo). Elles sont désormais au cœur de nombreux séminaires dans le monde francophone et environ 300 centres leur sont dédiés sur la planète.