L'ethnologue et sa libido

L'ethnologue autrichien Bronislaw Malinowski (1884-1942) s'est rendu célèbre entre autres pour ses travaux sur la vie sexuelle des habitants des îles Trobriand. Il y affirmait notamment que cette dernière est très libre, chacun, de la petite enfance à l'âge adulte, assouvissant ses pulsions comme il l'entend, et ne connaissant jamais de névrose. Or, de nombreux faits, relevés par B. Malinowski lui-même, allaient à l'encontre de cette thèse : choix de partenaires contraints, circonstances qui interdisent l'activité sexuelle, tabous de parole...

Bertrand Pulman propose une explication psychanalytique à cet aveuglement, en s'intéressant à « l'état psychique et libidinal » de B. Malinowski au moment de son enquête. Avant de partir sur son terrain, il avait rencontré successivement deux femmes, dont il était tombé amoureux, prévoyant un mariage avec la seconde sans en avertir la première.

Le journal personnel que tient l'ethnologue lors de son séjour aux îles Trobriand témoigne de la culpabilité qu'il éprouve par rapport à cette situation. Il montre également combien B. Malinowski a, dans ce cadre, éprouvé des désirs puissants envers les belles Trobriandaises qu'il côtoyait, y cédant d'ailleurs partiellement, tout en luttant contre ces « mauvais penchants » par souci de rester fidèle à sa promise. Dans ce contexte de conflit intrapsychique, ses observations sur la sexualité revêtiraient alors un caractère « transférentiel » : la liberté qu'il prête aux Trobriandais serait celle qu'il a « éprouvée d'abord comme inaccessible à lui-même ».