Vous parlez, au sujet du référendum sur la Constitution européenne, d'une nationalisation du vote européen. Pourquoi ?
Ce sont des préoccupations nationales, les enjeux nationaux qui ont été au premier plan de la couverture médiatique de la campagne et des motivations des électeurs. Les premières enquêtes disponibles sur la couverture médiatique de la campagne montrent que le cadrage national l'a emporté sur le cadrage européen : on ne parlait d'Europe qu'au travers du prisme national ; il y a eu extrêmement peu de débats sur les deux premières parties de la Constitution qui étaient spécifiquement européennes, à savoir la charte des droits fondamentaux et la réforme des institutions européennes. Le débat s'est focalisé sur des inquiétudes franco-françaises relatives au chômage, à l'avenir de la protection sociale, à l'insertion des jeunes dans le marché du travail. On a donc peu parlé d'institutions européennes en tant que telles, alors que c'était tout de même le c�ur du Traité constitutionnel. Le jour du vote, une majorité d'électeurs du non avait également en tête les problèmes nationaux et non les questions européennes.
Selon les chiffres que vous avancez dans votre livre, on voit en effet que 82 % des électeurs ayant voté oui l'ont fait plutôt « en pensant à la construction de l'Europe », contre seulement 42 % des électeurs qui ont voté non. Le non est certes plutôt « national » mais ne peut-on pas dire que les électeurs, toutes tendances confondues, pensaient majoritairement à l'Europe ?
Il est vrai que, toutes tendances confondues, une préoccupation européenne se fait jour. Cependant, la question européenne a été rabattue sur la seule question sociale. La dimension institutionnelle et la question des droits et libertés n'ont jamais été abordées et n'ont pas été significativement présentes dans les préoccupations des électeurs. Certes, les Français ont pu avoir une préoccupation européenne, mais celle-ci était entièrement filtrée par la question sociale. C'est là une spécificité française. En Espagne, le débat sur le référendum s'est focalisé sur des questions fort différentes : le fonctionnement du mécanisme institutionnel européen, les fonds structurels, la question des droits et des libertés, la réforme des institutions...