L'Holocauste, objet tabou ou sujet de débat

Selon Jeffrey K. Olick et Daniel Levy, sociologues à l'université Columbia, la mémoire collective de l'Holocauste opère sur le peuple allemand de deux manières : mythique et rationnelle. L'expression mythique la plus manifeste est constituée par les tabous, lesquels impliquent des principes moraux mais ne reposent pas sur des arguments rationnels. On ne débat pas avec un tabou : on lui obéit ou on le transgresse. Ainsi, le déni de l'antisémitisme par certains responsables politiques allemands est un exemple caractéristique de tabou. L'antisémitisme du passé est décrit comme l'expression d'une minorité, aujourd'hui disparue. Contrairement au tabou, les prohibitions opèrent au travers d'appels à la rationalité. Dans l'univers de la rationalité, les positions sont abandonnées si elles apparaissent inutiles ou si elles sont réfutées par des arguments solides. Il y a aussi un versant « positif» de la rationalité, constitué par les prescriptions. Par exemple, la proposition de réparations à l'égard d'Israël est une prescription rationnelle. Jamais un Etat n'avait volontairement adopté un tel programme pour atténuer les actions d'un régime précédent. Les auteurs utilisent cette grille de lecture pour analyser le fameux débat des historiens allemands au cours des années 80. Les uns, comme Ernst Nolte, affirmaient que l'Holocauste n'avait pas produit un plus grand mal que d'autres actes historiques tels que le Goulag; les autres, tels que Jürgen Habermas, qualifiaient cette position de révisionniste. Le débat a symboliquement pris fin lorsque le président de la RFA Richard von Weizsäcker a publiquement adopté les positions d'Habermas. Mais selon J.K. Olick et D. Levy, si Habermas a gagné le débat, E. Nolte a gagné la guerre, en faisant de l'Holocauste un sujet de débat rationnel et non plus un objet intouchable.