Comment expliquer la part si importante que prend l’apprentissage – d’une langue, des codes sociaux, d’un métier dans l’existence humaine ? Comment expliquer que certains apprentissages se déroulent tout au long de la vie ? Pour répondre à cette question, une nouvelle théorie de l’homme a été forgée au début des années 1940 : la théorie de « l’être inachevé ». Cette théorie a connu plusieurs variantes et reçu les faveurs de nombre de biologistes, anthropologues et philosophes.
Une incomplétude biologique
L’idée de base est que l’être humain est un être biologiquement inachevé. Ni son organisme ni ses instincts ne connaissent le plein développement atteint chez d’autres espèces qui sont adaptées dès la naissance à survivre seules sans apprentissage ni assistance extérieure. La tortue marine sort de son œuf pour courir aussitôt à la mer sans l’aide de personne, le petit faon se relève sitôt né et se met à gambader, le petit canard nage spontanément derrière sa mère. À la naissance, l’être humain semble, lui, dépourvu de tout programme de conduite. Il serait né sans défense, sans capacités propres et sans instinct, si ce n’est de téter le sein de sa mère. Il lui faut donc des années de maturation et d’apprentissage avant de devenir autonome. L’éducation remplace donc ses faiblesses congénitales. Cet inachèvement de l’être humain serait attesté par la durée particulièrement longue de l’enfance dans l’espèce humaine.
Même arrivé à l’âge adulte, l’être humain ne serait pas biologiquement « achevé » comme le sont les autres espèces. L’humain semble dépourvu des moyens de défense naturels pour survivre dans la nature. Il lui faut donc pour utiliser des armes, des outils et des abris. Cette incomplétude biologique se nomme « néoténie ». La néoténie désigne un retard de développement qui fait que l’individu se développe moins vite et que l’adulte possède encore des traits caractéristiques de l’enfance. Le principe de la néoténie a été présenté pour la première fois dans les années 1920 par l’anatomiste hollandais Louis Bolk. Les traits de la néoténie sont, selon Bolk : une boîte crânienne ovoïde (en forme d’œuf), un faciès juvénile, un trou occipital situé à la base du crâne et orienté vers le bas.