Ce volume, rassemblant les actes d'un colloque international tenu à Lyon, est centré sur une des questions épineuses de l'histoire des sciences humaines : comment est-on passé d'une conception commune du terme de « race » (au sens de « lignée », celui-ci servait à opposer les descendances nobles et les roturiers) à une conception scientifique et biologique, telle qu'elle sera utilisée pendant un siècle dans le champ de l'anthropologie (jusqu'aux usages les plus racistes sous le nazisme) ?
Si une telle question n'est pas vraiment neuve, les réponses fournies ne sont pas aujourd'hui complètement satisfaisantes : d'où ce livre, s'attachant à des aspects inédits d'un tel problème. Diego Venturino rappelle que le terme de race pour les historiens romantiques de la Restauration est un outil politique utilisé pour construire l'identité nationale et en finir avec la noblesse : en ce sens, le mot n'est ni celui du sens commun moyenâgeux, ni celui des sciences naturelles. Claude Blanckaert détaille le long processus qui vit émerger, en sciences naturelles, la notion scientifique moderne de race, partant de Carl von Linné mais revue par l'anatomie comparée de Georges Cuvier. Claude Rétat pointe l'usage linguistique et culturel qu'en firent les spécialistes de la grammaire comparée tel Ernest Renan.
On trouvera aussi les utilisations à la fois personnelles et floues que firent du mot « race » des écrivains comme Gustave Flaubert ou George Sand. Sont donc déclinées dans cet ouvrage les (ré) appropriations les plus variées d'un même mot. On regrettera cependant qu'aucune théorie générale ne vienne lier ces différentes contributions. Pourtant, étudier les transformations historiques du sens d'un concept pose des questions épistémologiques fondamentales : Claude Lévi-Strauss n'écrivait-il pas dans Anthropologie structurale qu'une théorie de la structuration inconsciente du vocabulaire était à faire ? Les auteurs de ce livre ne s'attellent pas à une telle tâche, mais ils en ouvrent en quelque sorte la voie.