L'intelligence est-elle génétique ?

Cette question fait l’objet de débats virulents. On dénombre plusieurs centaines de gènes dont chacun pourrait être impliqué dans le déficit intellectuel… Mais à l’heure act uelle, aucun ne constitue un gène primordial pour le développement d’une intelligence « normale ». Pourtant, l’héritabilité (cliquez ici) du QI est estimée à environ 60 %, ce qui laisse supposer une contribution massive des gènes sur le développement intellectuel. L’héritabilité semble même augmenter au fil de la vie : le milieu socioculturel pourrait jouer un rôle nettement moindre après l’adolescence.
Certains chercheurs, depuis le psychologue Arthur Jensen en 1969, vont plus loin en transposant le débat sur le terrain racial. Ainsi The Bell Curve, ouvrage à succès de Richard Herrnstein et Charles Murray, soulignait en 1994 les différences de QI entre Américains noirs et blancs (en faveur de ces derniers), en privilégiant les déterminants génétiques au détriment des facteurs socioéconomiques. Le propos sous-jacent à ces recherches est que si les inégalités sociales ont un fondement génétique, il est inutile d’investir dans des aides aux populations noires, présentées comme biologiquement inférieures, condamnées à la stagnation et à la criminalité, et susceptibles, avec leur sexualité décrite comme effrénée, de contaminer le corps social en disséminant leurs gènes. De telles théories, typiques du darwinisme social, sont généralement accueillies par une volée de bois vert : un autre auteur, Christopher Brand, a été interdit d’enseigner à l’université d’Édimbourg en 1996, tandis qu’en 2007, James Watson, codécouvreur de la structure de l’ADN et prix Nobel de médecine, a été exclu de son laboratoire de recherches pour avoir lui aussi défendu l’idée de différences raciales d’intelligence.
De nombreux biologistes, comme Axel Kahn et Richard Lewontin, sont farouchement opposés à de telles conceptions, et pas seulement pour des raisons morales. Scientifiquement, le QI est un instrument de plus en plus contesté : non seulement il est sensible à des biais socioculturels, mais il repose sur une conception globalisante de l’intelligence, vieille d’un siècle, et qui ne correspond plus aux connaissances actuelles. Or, la contribution génétique à des capacités cognitives plus spécifiques, comme les aptitudes verbales ou la mémoire, est bien moindre. De plus, même en acceptant le QI comme instrument d’évaluation de l’intelligence, il a été montré que son héritabilité est quatre fois plus forte dans les familles les plus pauvres que dans les plus riches (1). Ainsi, plus on est pauvre, plus le milieu social est important pour l’intelligence générale, que l’on soit noir ou blanc. Minimiser les facteurs environnementaux conduit donc à une vision partielle de l’intelligence des populations noires, qui, aux États-Unis où l’on assiste aux plus fortes polémiques, sont souvent les plus défavorisées. Enfin, on constate une hausse du QI au fil des générations dans les pays occidentaux (c’est ce que l’on appelle l’« effet Flynn »). Le QI moyen des Français s’est par exemple élevé de 11 points de 1950 à 1980. Le développement de l’intelligence à un tel rythme ne peut être expliqué, là encore, par la seule biologie (2).