L’invention de la tradition

Eric J. Hobsbawm et Terence Ranger, éd. Amsterdam, 2006, 370 p., 21 e.
« De nos jours, quand des Écossais se réunissent pour célébrer leur identité (…), ils revêtent notamment le kilt (…) symbole de leur appartenance à tel ou tel “clan” (…). Ce costume, auquel ils attribuent la plus grande antiquité, est en fait de création assez récente. Il ne fut élaboré que bien après l’union de 1707 avec l’Angleterre, contre laquelle il est, en un sens, une marque de protestation. » Vingt-trois ans après sa première publication en 1983, arrive enfin en traduction française. Les idées de l’ouvrage sont désormais bien connues. Elles ont largement influencé les recherches de nombreux historiens aussi bien dans les mondes anglo-saxons que français : la monumentale analyse des sous la direction de Pierre Nora, par exemple, se rattache aux travaux de l’équipe dirigée par Eric J. Hobsbawm et Terence Ranger. Que font-ils apparaître ? Pourquoi inventer des traditions ? Parce que les différents groupes sociaux (les Etats-nations tout particulièrement) qui se constituent à partir de la fin du xixe siècle ont besoin de légitimer leur cohésion, et parfois leur domination, en s’inscrivant dans la longue durée. Ainsi la monarchie britannique va-t-elle se doter d’un apparat « immémorial » pour ses cérémonies publiques, inventé à la fin du xixe. Quant au passé gallois (qui sert à s’opposer à l’Etat-nation britannique), il est le résultat de réinterprétations radicales et d’inventions de toutes pièces. De la fabrication du passé des à une impressionnante analyse de « L’invention de la tradition en Afrique à l’époque coloniale », les différents chapitres mettent en évidence la « production de masse des traditions » et nous obligent, aujourd’hui encore – surtout aujourd’hui – à nous méfier des fausses évidences identitaires.