Vous êtes considéré comme l’un des spécialistes mondiaux des comportements irrationnels. Ce champ de connaissances est assez récent…
Cette nouvelle discipline se différencie de l’économie conventionnelle, qui nous suppose tous rationnels. Selon Adam Smith et consorts, les « forces du marché » nous remettent dans le droit chemin de la rationalité. Une tendance aggravée par la mainmise dans les années 1970 des mathématiques : les économistes ont souhaité gagner en précision dans leurs hypothèses et la théorie des jeux* s’est popularisée, injectant une dose d’hyper-rationalité à l’économie.
Mais avec les travaux de Daniel Kahneman (1) et de son collègue Amos Tversky, la psychologie a été réintégrée de manière spectaculaire au champ économique.
Et grâce au chercheur George Loewenstein, professeur de psychologie et d’économie à l’Université de Carnegie Mellon, à Pittsburgh, aux États-Unis, on a pu se concentrer sur les expérimentations économiques in vivo, faisant la part belle aux choix et aux émotions. L’économie comportementale s’est enfin enracinée dans la vie quotidienne !
Votre rencontre avec l’irrationalité est survenue dans des circonstances dramatiques. Brûlé à 70 % dans votre jeunesse, vous avez passé trois ans à l’hôpital le corps recouvert de bandages…
Tout est parti d’un accident. Dans mon cas, des infirmières chevronnées avaient pris de mauvaises décisions. Une fois sorti de l’hôpital, je me suis lancé dans une série d’expériences pour soumettre des sujets à des douleurs rapides et intenses – ce qu’on m’avait alors imposé – ou plus lentes et moins fortes…
J’ai alors décidé d’élargir mon champ de recherche et d’examiner les cas dans lesquels les individus commettent des erreurs à répétition. Ces dernières années, un événement majeur a aussi servi de catalyseur à l’économie comportementale : la crise financière de 2008. Si autant d’institutions bancaires ont failli et qu’autant d’acteurs économiques se sont trompés, que peut-on en déduire sur le plan de leurs comportements ? Dans un tel contexte, l’accumulation de décisions irrationnelles est devenue un phénomène à grande échelle.
Comment fonctionne votre laboratoire, The Center of Advanced Hindsight, basé aux États-Unis ? S’agit-il de collecter des expériences et de les mettre en base de données, à l’instar de ce que réalise le J-pal, le laboratoire d’action contre la pauvreté, au sein du Massachussetts Institute of Technology (MIT), qui tente de comprendre le comportement des pauvres ?
Je suis un grand fan de l’économiste Esther Duflo [cofondatrice du laboratoire d’action contre la pauvreté, n.d.l.r ]. Mais notre laboratoire est un peu plus généraliste, en ce sens qu’il s’intéresse à des questions universelles et ne vise pas à trouver des solutions au problème de tel ou tel village.