« La dévotion envers Dieu motivée par la peur, cela suffit. Je ne veux plus de relation fondée sur le principe "j'ai peur de lui, donc je suis contraint de l'adorer". Non, je veux une relation fondée sur l'amour. » Ce message est celui du téléprédicateur égyptien Amr Khaled, qui peut se targuer de toucher des millions de jeunes dans le monde musulman. A l'image de ses inspirateurs protestants, il a mis en circuit un réseau de médias modernes (télévisions, cassettes audios, livres, revues...) au service de son prosélytisme, préférant le talk-show télévisé au prêche dans la mosquée. Comme l'autre star de la prédication musulmane « soft », l'Indonésien Aa Gym, A. Khaled diffère en de nombreux points de ses collègues ulémas traditionalistes. Il est « branché » et arbore le menton glabre, la chemise occidentale décontractée ; il vise un public jeune, massivement féminin, issu des classes aisées, à la religiosité émotive.
Selon Patrick Haenni, son discours est révélateur d'une transformation de la façon dont l'islam est vécu aujourd'hui. Cette mutation dépasse les objectifs théologico-révolutionnaires de l'islamisme, innervant l'islam de notions associées à la modernité : réalisation de soi et quête du bonheur individuel, culte de la performance économique ? le Prophète était un marchand, rappelle A. Gym ? et du consumérisme... Tous ces éléments sont associés au rejet du dogme religieux édifié en norme absolue du politique. Ainsi du voile, qui commence à être « consommé » en Turquie ou en Egypte comme un accessoire vestimentaire soumis aux injonctions de la mode occidentale et de la séduction.
Dans cette vague de fond postislamiste qui affecte aujourd'hui les classes privilégiées de certains pays musulmans, se dessine aussi, peut-être, une forme non anticipée du déclin annoncé du radicalisme. Voire de sa dissolution dans une économie de marché mondialisé, qui aura tout transformé en marchandise, jusqu'à l'islam. On trouve d'ailleurs en CD les « Intégrales » des prêches d'A. Khaled.
Sylvie Chokron
Sylvie Chokron est neuropsychologue et directrice de recherches au CNRS. Elle a fondé et dirige l’Institut de neuropsychologie, neurovision et neurocognition (I3N) à la fondation ophtalmologique Rothschild (Paris).