Les pratiques sadomasochistes sont aujourd'hui devenues moins taboues. Elles peuvent agrémenter l'imaginaire voire, sous une forme atténuée et occasionnelle, la sexualité des individus. Mais qu'en est-il du « vrai » sadomasochisme, fait de règles, de codes, de rites ? La sociologue Véronique Poutrain a mené une enquête inédite sur ce milieu, à partir d'une centaine de témoignages, de l'analyse de discussions sur des forums Internet et de petites annonces. Si les modes d'entrée dans le sadomasochisme sont variables (par le biais d'un partenaire, d'une curiosité pour une pratique à la mode), la plupart des adeptes disent avoir toujours été attirés par la soumission ou la domination. Et si peu d'entre eux ont conscience de l'origine de ce désir, beaucoup évoquent une enfance passée dans un milieu très contrôlant, ne laissant que peu de place au développement de la personnalité. La première expérience est vécue comme une initiation, qui permet le réajustement entre les fantasmes initiaux (très violents et extrêmes) et la réalité de la relation sadomasochiste, encadrée par des limites précises. Dans le sadomasochisme, une grande importance est accordée aux décors, aux lieux, aux accessoires utilisés, qui concourent à une forme de théâtralisation des pratiques. Les mises en scène et les scénarios sont d'une grande importance, tout comme l'esthétisme. Porter un certain type de tenue est un des nombreux codes qui placent les individus dans « des rôles hiérarchisés, admis et choisis. Les humiliations et les douleurs infligées n'existent que pour les confirmer ». L'univers sadomasochiste est fait de règles strictes, censées garantir le bon déroulement des pratiques en interdisant les débordements. D'ailleurs, tout peut être défini à l'avance, le scénario, les instruments utilisés comme les limites du supportable de chacun.
V. Poutrain constate qu'« il existe un conflit direct entre les rôles sociaux classiques et les rôles spécifiques » du sadomasochisme : à l'heure actuelle, où la société promeut une image de la femme non-soumise, une sadomasochiste qui assouvit ainsi ses désirs de soumission peut le vivre difficilement. Mais l'individu adepte du sadomasochisme subit également les prescriptions sociales dominantes, qui considèrent ces pratiques comme « anormales », d'où de fréquents sentiments de culpabilité, de honte.
Références
V. Poutrain, Sexe et pouvoir. Enquête sur le sadomasochisme, Belin, 2003.