Malgré son avance permanente dans les sondages, les conseillers de Barack Obama redoutaient une mauvaise surprise dans les résultats de la dernière élection présidentielle américaine. Aux sources de leur inquiétude figurait l’effet Bradley, du nom d’un candidat noir qui, contre toute attente, avait raté in extremis le poste de gouverneur de Californie en 1982 : alors que les sondés s’étaient déclarés majoritairement disposés à voter pour lui, ils avaient finalement opté pour son rival blanc. Ce phénomène est interprété comme une réticence des électeurs blancs à faire part de leur choix réel, afin de ne pas prêter le flanc à une accusation de racisme.
Pourtant, nous sommes bien loin de la ségrégation raciale, pratiquée il y a un demi-siècle encore aux États-Unis. La peur de passer pour raciste a semble-t-il progressé : elle pousse même certains Américains à faire l’impasse totale, dans la conversation, sur la couleur de peau. Des psychosociologues des universités américaines de Tufts (Medford, Massachusetts), Harvard et du Massachusetts Institute of Technology (MIT) s’attachent, depuis quelques années, à étudier ce qu’ils appellent la « cécité stratégique des couleurs ». Les personnes évaluées (hommes ou femmes) n’ont pas seulement tendance à éluder le sujet, mais poussent la prudence jusqu’à s’avouer à peu près incapables de classer des photographies d’après l’épiderme des individus représentés. Distinguer les hommes des femmes, les souriants des pas souriants, les blonds des bruns ? L’enfance de l’art. Mais les Noirs des Blancs ? Trop difficile ! Les couleurs, dont la perception est pourtant irrépressible, s’estompent comme par magie, à en croire les intéressés…
Evan P. Apfelbaum et al., « Seeing race and seeming racist ? Evaluating strategic colorblindness in social interaction », , vol. XCV, n° 4, octobre 2008.Evan P. Apfelbaum et al., « Learning (not) to talk about race: Whenolder children underperform in social categorization », , vol. XLIV, n° 5, septembre 2008.Michael I. Norton et al., « Color blindness andinterracialinteraction: Playing the political correctness game », , vol. XVII, n° 11, novembre 2008.