La chasse aux fantômes est ouverte

Imaginez : vous perdez un bras ou un pied et pourtant vous le sentez encore, douloureux souvent, agissant parfois de façon extravagante. D’où viennent 
les membres fantômes ? Et surtout, comment s’en débarrasser ?

Le phénomène n’est pas rare : environ neuf sujets sur dix ressentiraient la présence d’un membre fantôme après une amputation. Et même, dans la majorité des cas, dès leur réveil : au point qu’il leur faut constater de visu l’absence du membre pour admettre qu’ils ont bien été opérés ! Car le fantôme est ressenti comme réel, et parfois comme un double exact du bras ou de la jambe disparus, jusque dans sa consistance et son volume. On peut encore sentir son bracelet-montre ou son alliance, voire, autour du pied fantôme, le contact d’une chaussure ou encore des sensations de transpiration (mais pas d’odeur, c’est déjà ça !). Et si le membre originel était mal formé, le fantôme conserve la trace de la malformation.

Voilà ce qui rend l’expérience particulièrement singulière : non seulement, après amputation, il y a quelque chose plutôt que rien, mais souvent le membre semble vivre sa vie, égal à lui-même, participant à la marche et aux divers mouvements quotidiens. Le drame est que dans ce cortège de sensations réalistes s’invite la douleur, qu’il s’agisse de fourmillements, de crampes, ou de pics cinglants, paroxystiques, imprévisibles. Non dans le moignon, mais bien dans le fantôme. Si le membre disparu était douloureux, son fantôme en génère une sorte d’écho indéfiniment répété.

Par exemple, l’arthrite est toujours là, s’aggravant même avec l’humidité. Le pire, c’est quand le membre a été perdu dans un déchaînement de douleur, car c’est celle-ci qui est ressentie : fut ainsi rapporté le cas d’un soldat qui, la main déchiquetée par une grenade, sentait perpétuellement sa main fantôme convulser.

Fantômes élastiques, pédaleurs et péteurs

Une fois sur deux, et surtout quand il s’agit d’un bras, le membre finit par disparaître au fil des jours en se raccourcissant comme la corne d’un escargot jusqu’à ce qu’il ne reste par exemple que la main fantôme au bout du moignon, voire uniquement la paume et les doigts… et puis plus rien. Une fois le membre disparu, certains patients parviennent à le faire brièvement ressusciter en se frottant le moignon ou en se concentrant. Mais le fantôme persiste chez un tiers des amputés quasi indéfiniment (on connaît le cas d’individus à l’existence empoisonnée durant un demi-siècle).

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À en croire divers rapports cliniques documentés, le fantôme fait parfois preuve d’une plasticité et d’une mobilité surprenantes. Chez la moitié des patients, il est paralysé, si le membre réel l’était lui-même avant amputation. Mais chez l’autre moitié, il est mobile. Sous le coup de la fatigue, du stress ou de l’émotion (ou, paraît-il, en ahanant sur les toilettes !), il peut brièvement donner l’impression de se rigidifier ou de s’allonger. Parfois, une main fantôme remue toute seule, machinalement, pour décrocher le téléphone ou faire coucou à un nouvel arrivant. Certains parviennent à la faire bouger volontairement, pour serrer le poing, saisir un stylo imaginaire, pianoter en l’air ou même, expliquait une artiste, sculpter. Un certain John McGrath, lui, continuait à jouer au tennis avec son bras amputé !