Utopie : Louise Michel en assume le mot et l’idée. Elle le rappelle : ce qui apparaissait utopie hier se transforme sans cesse en réalité ; jamais par miracle, mais par la force des luttes et les conquêtes des soulèvements. « Si l’on eût dit au Moyen Âge que les beffrois crouleraient, personne ne l’aurait cru, surtout les serfs qu’on pendait haut et court », écrit l’institutrice et militante libertaire. À partir du 18 mars 1871 et pour soixante-douze jours, la Commune à laquelle elle participe est une utopie devenue réelle. D’abord par sa double dimension de révolution populaire : non seulement l’insurrection est menée par le peuple de Paris – un peuple en armes où depuis peu les gardes nationaux, « fédérés » et autoorganisés, élisent leurs officiers ; mais encore parce que le Conseil de la Commune, élu le 26 mars 1871, est composé d’ouvriers, employés, artisans, commerçants, artistes, instituteurs… Des hommes du peuple, qui entendent bien rester fidèles à ses volontés. Ils n’apparaissent pas simplement comme des représentants mais comme des mandataires ; et ce mandat peut être contrôlé, au besoin révoqué.
Une lutte contre le capital
En instaurant une forme de démocratie directe, la Commune n’établit pas seulement une autre République, mais ce que le mouvement ouvrier espère depuis des années : la justice sociale, l’égalité, une République universelle. Des étrangers sont élus au Conseil de la Commune, comme l’ouvrier hongrois Léo Frankel, en charge de la Commission du travail. L’internationalisme est puissant. Alors que Paris est assiégé par les troupes prussiennes, le peintre Gustave Courbet en appelle d’ailleurs aux soldats et artistes allemands pour qu’ils fondent le bronze de leurs canons avec celui des Français : de ce bronze surgirait un monument dédié à un monde solidaire qui ferait fi des frontières. C’est pour cette même raison que la colonne Vendôme est abattue : elle représente Napoléon, l’esclavage rétabli aux colonies, la guerre à outrance et les peuples asservis. Faire crouler cette colonne, c’est renverser un passé de soumission : la Commune prône l’émancipation.