La consommation, une invention occidentale ?

Le consumérisme, dit-on, serait né dans l’Europe des temps modernes. Est-ce si sûr ? Les exemples chinois et japonais amènent à nuancer, voire à invalider cette idée.

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Pour la majorité des historiens, l’ère de la consommation naîtrait au 17e siècle ou au 18e siècle, en Europe. Elle serait liée à une progression lente des revenus des ménages comme à l’importation de marchandises inédites. Auparavant, les êtres humains auraient vécu essentiellement sous le régime de l’autoconsommation rurale communautaire. Seule aurait existé une consommation propre à de riches oisifs (patriciens romains, seigneurs du Moyen Âge, etc.), fondée sur l’affirmation d’une différence sociale, sur le prestige, voire sur un souci de raffinement parfois déconnecté de la morale commune.

Épices, encens, soie, laque, porcelaine…

Comment expliquer alors le passage d’une consommation ancienne, élitiste et excluante, à une consommation mieux partagée ? Plusieurs histoires de la consommation en ont cerné les raisons, en montrant notamment que l’apparition de goûts nouveaux, au 17e siècle, a stimulé l’ardeur au gain. Deux approches fondatrices, celle de Jan de Vries, synthétisée autour du concept de « révolution industrieuse », et celle de Daniel Roche fournissent un cadre de référence à cette idée. Mais ces analyses se limitent pour l’essentiel au cadre de l’économie intérieure, voire d’une économie fermée. Serait-il possible d’observer des formes de consumérisme ailleurs qu’en Europe et avant le début des Temps modernes ?

Les nouveaux biens qui suscitent le désir à partir du 17e siècle sont aussi et d’abord des produits exotiques, importés d’Orient en quantités importantes et régulières. Aux épices et aux encens, consommés dès le Moyen Âge en grande quantité en Europe, il faut désormais ajouter les arrivages massifs de soie chinoise, de laque et de porcelaine. Ainsi la faïence de Delft s’inspire-t-elle des céramiques chinoises (Song ou Ming) pour décorer les tables d’Amsterdam. La question se pose donc de savoir si les connexions globales de l’économie néerlandaise ne sont pas responsables, à la fois d’une partie de la hausse des revenus populaires (la réexportation de ces produits vers l’Europe permet un large excédent commercial néerlandais au 17e siècle) et d’une part non négligeable du goût nouveau qui apparaît alors aux Pays-Bas. Derrière cette interrogation s’en cache une autre : la consommation importante de ces mêmes produits, en Chine, en Inde, au Japon ou dans le monde arabe, est-elle réservée à une élite séparée ou relève-t-elle de formes de consumérisme semblables à celles expérimentées par l’Europe au 17e siècle ?

En Chine, un évident consumérisme est attesté dès le 16e siècle et donc plus tôt qu’en Europe.