On mange trop ! On achète trop ! On travaille trop ! On s’informe trop ! On se connecte trop ! On consomme tant qu’on finit par se consumer. Nous mangeons trop : l’obésité explose dans le monde (un tiers de la population mondiale est en surpoids) ; nous achetons trop (il suffit de regarder nos poubelles et l’état de la planète) ; on travaille trop (l’épidémie de burnout en est le signe le plus manifeste) ; on s’informe trop (trop d’information tue l’information, surtout lorsqu’il s’agit d’une information exclusivement toxique et anxiogène) ; on se connecte trop (le cap a été franchi en 2017 : aux 4 heures de télévision en moyenne sont venus se rajouter 4 heures de consultation sur écran, ordinateurs, tablettes et smartphones).
Pendant des milliers d’années, l’humanité a vécu sous le régime de la rareté, craignant la faim, le froid, souffrant d’ignorance et de privation de toutes sortes. Nous sommes désormais à l’âge de l’abondance. Tout est là, à portée de main et de regard. Nous ne craignons plus tant de manquer que de nous faire déborder.
Tel est le défi du 21e siècle : éviter « l’hubris », c’est-à-dire l’excès, la démesure qui nous mène à la perdition, individuelle et collective. Apprendre à dire non aux mille tentations et sollicitations qui s’offrent à nous. Mais n’est-il pas trop tard ? Est-ce encore possible ? Pour le savoir, il faut comprendre comment on en est arrivé là, analyser les dispositifs et chaînes de dépendance. C’est la condition pour tenter de s’en défaire. Pour qui le souhaite encore.
De l’hyperconsommation à l’hyperconnexion
Le 20e siècle a été celui de l’entrée dans la « société de consommation », associée à l’automobile, la radio, la télévision, les arts ménagers, le prêt-à-porter, la publicité et le crédit à la consommation. Depuis, le phénomène s’est amplifié. Le 21e siècle a consacré l’hyperconsommation. Ce qui était hier le « standing », privilège des classes aisées, s’est diffusé aux classes moyennes puis populaires. Dans toutes les villes du monde apparaissent ces temples de la consommation que sont les grandes surfaces, les galeries marchandes et leurs grandes enseignes où grouille une clientèle en quête de bonnes affaires – cartes de crédit et de fidélité en poche, téléphone portable en main 1. Avec le commerce en ligne, on a franchi un nouveau cap – Amazon et Le Bon Coin en sont les symboles.
Après la société de consommation est venue la « société de communication » : elle désignait dans les années 1990 le boom des radios, des chaînes de télévision, de la vidéo. En moins d’une génération, on est passé à l’ère de l’hyperconnexion. Nul n’a imaginé le déferlement du Web, du smartphone, des tablettes, des SMS, des réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram), le poids grandissants des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) ou leurs équivalents chinois (les BATX : Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi). Tout cela s’st propagé à la vitesse d’une pandémie globale foudroyante.
Comment sommes nous devenus si gloutons ?
En matière d’emprise, il y a deux façons classiques de voir les choses. La première consiste à diriger le regard vers le haut : vers ceux qui dirigent, sont censés tenir les ficelles et tirer profit du « système ». Ce sont les grandes entreprises engagées vers une course à l’innovation, qui inondent les rayons des grandes surfaces d’un flot de marchandises alléchantes (bonbons, sodas et jouets attractifs pour enfants, voitures, vêtements, téléphones et série TV pour les grands), mis à la portée de tous grâce aux cartes de crédit et aux crédits à la carte qui facilitent les achats d’impulsion, et stimulé par des méthodes de marketing toujours plus intrusives. Alors que le marketing d’antan fonctionnait sur le principe du matraquage massif (assez peu efficace au demeurant 2), le marketing nouveau fonctionne à l’appât : on ne cherche pas à vous convaincre ou vous séduire, il suffit de vous mettre sous les yeux quelque chose qui vous plaît déjà car les outils du big data ont déjà repéré vos centres d’intérêt.